(Ottawa) Après la Gendarmerie royale du Canada (GRC), c’est au tour du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) de s’intéresser de près aux « postes de police chinois » qui ont vu le jour sur le sol canadien.

Le SCRS dresse d’ailleurs un constat sans appel : les sept postes de police chinois qui ont été identifiés au pays au cours des derniers mois, dont deux se trouvaient dans la région de Montréal, font partie de « l’arsenal de l’ingérence » qu’utilise la Chine sur le sol canadien, soutient-on dans un document obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Les conclusions des espions canadiens, qui sont contenues dans une « Alerte de sécurité du SCRS » datée du 2 décembre 2022, donnent de nouvelles munitions aux partis de l’opposition qui réclament depuis des mois la tenue d’une enquête publique sur l’ingérence étrangère au pays.

« Des “postes de police” au Canada contribuent à l’ingérence étrangère de la RPC [République populaire de Chine] », affirme-t-on d’emblée dans le document de 15 pages.

En septembre dernier, l’organisation de défense des droits de la personne Safeguard Defenders, établie en Espagne, soutenait dans un rapport que des divisions du ministère de la Sécurité publique (MSP) de la République populaire de Chine avaient installé des « postes de police » dans plus de 50 pays, dont le Canada.

L’ONG affirmait que ces postes de police servaient à surveiller les ressortissants chinois et à persuader ceux qui étaient soupçonnés d’avoir commis des crimes de retourner en Chine où ils devaient être jugés.

L’automne dernier, la GRC a fait savoir qu’elle avait ouvert une enquête sur l’existence de trois postes de police présumés dans la région de Toronto. Au printemps, le corps policier a confirmé avoir élargi son enquête à Vancouver, où deux postes de police ont été relevés, de même qu’à Montréal, où deux autres postes ont été portés à son attention.

En juin, la GRC a certifié avoir « mis fin à des activités policières illégales en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique », mais elle n’a pas indiqué si elle avait procédé à des arrestations en lien avec cette affaire.

Lisez l’article « Les postes de police chinois sur le sol canadien ont été fermés, assure Ottawa »

Dans la région de Montréal, la GRC a montré du doigt le Service à la famille chinoise du Grand Montréal et le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud comme étant des installations abritant des postes de police chinois. Mais les dirigeants de ces centres de ressources ont nié avec véhémence ces informations.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Entrée du local du Service à la famille chinoise du Grand Montréal

L’ambassade de Chine à Ottawa a aussi rejeté ces allégations, soutenant que ces organisations servaient à fournir aux ressortissants chinois une aide pour obtenir des services de Pékin, comme le renouvellement des permis de conduire, entre autres.

« Les postes en question, établis sans l’autorisation du gouvernement du Canada, ont très probablement pour mission d’aider le MSP à retrouver, à surveiller et à harceler les cibles se trouvant au Canada de l’opération Fox Hunt, une longue campagne mondiale de répression et de lutte contre la corruption. Ces “postes de police” ne sont donc qu’un élément de l’arsenal de l’ingérence et de la répression transnationale que mène la RPC en sol canadien », tranche-t-on dans le document du SCRS.

Plusieurs passages du document ont été caviardés avant d’être remis à La Presse. Il reste que le SCRS estime que « toute ingérence étrangère affaiblit progressivement la démocratie canadienne, entame imperceptiblement la cohésion sociale chèrement acquise dans une société multiculturelle et bafoue les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. […] Le SCRS continue de suivre cette situation à mesure qu’elle évolue ».

Selon le député conservateur Pierre Paul-Hus, la décision du SCRS de se pencher sur la présence de ces postes de police chinois au pays démontre que cette situation constitue une véritable menace.

Elle ne peut être prise à la légère comme l’a fait, selon lui, le gouvernement de Justin Trudeau.

« Des agents étrangers ne devraient pas être autorisés à intimider et à harceler les Canadiens sur le sol canadien. Le gouvernement Trudeau a passé des mois à induire les Canadiens en erreur et à leur donner des indications erronées sur ces postes de police illégaux. Tous ces postes de police doivent être immédiatement fermés et le gouvernement doit immédiatement créer un registre de l’influence étrangère pour protéger les Canadiens », a-t-il avancé.

M. Paul-Hus, qui est le lieutenant politique du chef conservateur Pierre Poilievre au Québec, se désole que le gouvernement Trudeau n’ait encore sanctionné personne à la suite de cette affaire.

Tous les agents de Pékin qui sont enregistrés comme diplomates et qui travaillent avec ces postes de police doivent être expulsés du Canada. Il s’agit de protéger les citoyens canadiens, en particulier ceux de la communauté chinoise, contre les abus et le harcèlement de Pékin.

Le député conservateur Pierre Paul-Hus

Au bureau du ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, on affirme que le gouvernement Trudeau « a les yeux grands ouverts lorsqu’il s’agit d’États hostiles, qu’il s’agisse de la Chine ou d’autres pays, qui tentent d’interférer dans nos institutions. Nous n’accepterons jamais d’ingérence étrangère au Canada et nous n’hésiterons jamais à prendre des mesures pour protéger les Canadiens ».

On a aussi souligné que la GRC et ses agents avaient pris les mesures nécessaires pour mettre fin « à toutes les activités illégales » liées à ces prétendus postes de police. « Leur objectif a toujours été de s’assurer que ces “postes” ne puissent pas être utilisés pour des activités illicites, y compris le harcèlement et l’intimidation des Canadiens. Bien que nous ne puissions pas commenter les enquêtes en cours, nous nous attendons à ce qu’ils restent vigilants et agissent rapidement si ces “commissariats” réapparaissent. »

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse