S'inspirant d'un mouvement allemand controversé qui dénonce «l'islamisation de l'Europe», un groupe montréalais compte tenir une manifestation samedi dans le Petit Maghreb. L'annonce sème la peur et crée une montée de boucliers.

Mis sur pied au début de l'année, le groupe PEGIDA Québec a lancé l'appel sur sa page Facebook et demande à ses partisans de se présenter à l'angle du boulevard Pie-IX et de la rue Bélair, à proximité de la station de métro Saint-Michel, à 16h samedi. Hier, 161 personnes se disaient «intéressées» à prendre part à la manifestation «contre l'islamisation du Québec».

Dans une entrevue avec le Toronto Star publiée hier, un des fondateurs de PEGIDA Québec, Jean-François Asgard, a affirmé que les musulmans devaient soit changer, soit quitter le Québec. «L'incompatibilité de l'islam avec l'Occident est flagrante et c'est la raison pour laquelle les membres de PEGIDA et les patriotes occidentaux se soulèvent», a dit M. Asgard, qui n'a pas répondu aux demandes d'entrevues de La Presse.

Dans un communiqué mis en ligne hier, PEGIDA Québec, qui affirme vouloir tenir une manifestation pacifique, remet en cause l'existence du Petit Maghreb, un quartier qui regroupe quelques mosquées et des commerces appartenant à des Montréalais d'origine algérienne, marocaine et tunisienne. «PEGIDA Québec se pose la question. Depuis quand existe-t-il un quartier maghrébin à Montréal? Avons-nous déjà des quartiers islamisés au Québec?», peut-on lire sur Facebook. «Bientôt, si nous nous laissons faire comme en Europe, nos vacances de Noël seront nos vacances d'hiver. Les vacances de Pâques seront les vacances du printemps. Cela voudra dire que notre calendrier deviendra halal», lit-on dans le même document.

Inquiétude dans le Petit Maghreb

Dans les commerces du Petit Maghreb, principalement rue Jean-Talon Est, la manifestation de samedi fait l'objet de vives discussions. «Ça va de soi que je m'inquiète pour mon commerce. J'espère qu'il n'y aura pas d'affrontements. Ça m'inquiète aussi de voir que la communauté maghrébine n'est pas organisée pour faire face à la situation alors que nous sommes les premiers concernés», a dit hier à La Presse Toufik Merazi, propriétaire de La Table fleurie, une pâtisserie du quartier.

Contre-manifestation prévue

Les partisans de PEGIDA Québec ne seront pas les seuls à se présenter dans le Petit Maghreb samedi après-midi. Plusieurs groupes de gauche convoquent aussi leurs membres à un rassemblement à 15h30, à l'angle de la rue Bélanger et du boulevard Pie-IX. «La montée de l'islamophobie nous inquiète profondément», a dit hier Maude, une des organisatrices de la contre-manifestation, qui a préféré garder son nom de famille confidentiel. Le Front féministe prolétarien de Montréal, le collectif Femmes de diverses origines, Action anti-fasciste de Montréal, le Mouvement étudiant révolutionnaire et le Parti communiste révolutionnaire participeront au rassemblement. Près de 800 personnes y sont attendues, selon les organisateurs.

Fronde politique

Acronyme allemand de «patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident», PEGIDA a été fondé l'an dernier à Dresde, dans l'ancienne Allemagne de l'Est, et tient des manifestations toutes les semaines. À son zénith, l'organisation, connue pour ses positions xénophobes et anti-immigration, a attiré jusqu'à 20 000 supporters en Allemagne. Plusieurs manifestations européennes de PEGIDA ont été accompagnées de contre-manifestations et de dénonciations politiques.

C'est aussi le cas au Québec. Mardi, les députés de l'Assemblée nationale du Québec ont adopté à l'unanimité une motion pour «manifester leur profonde préoccupation à l'égard de PEGIDA Québec».

Le parti Québec solidaire et la ministre de l'Immigration Kathleen Weil ont aussi mis en garde les Québécois contre le groupe. «La manifestation du 28 mars prochain, en plein coeur du Petit Maghreb, est une grave provocation envers les Québécois et les Québécoises de croyance musulmane. Le discours haineux et xénophobe de PEGIDA n'a pas sa place au Québec», a affirmé Françoise David, porte-parole de Québec solidaire.

Silence du maire

Muet sur la question depuis plusieurs jours, le maire de Montréal, Denis Coderre, n'a fait aucun commentaire sur la manifestation controversée, hier. Le Service de police de la Ville de Montréal affirme pour sa part que les policiers auront le rassemblement de samedi à l'oeil.