Donateurs aussi mystérieux que généreux, croisières de 20 000 $ payées comptant, conjoint arrêté dans une importante enquête visant la relève des Hells Angels, présumé complice sentant peut-être la soupe chaude qui tourne les talons... Des documents judiciaires obtenus par La Presse lèvent davantage le voile sur l'élaboration du complot d'importation de 95 kg de cocaïne qui a mené à la retentissante arrestation de deux jeunes Québécoises, l'an dernier en Australie.

Après l'arrestation en août 2016 en Australie d'Isabelle Lagacé, de Mélina Roberge et d'André Tamine, qui effectuaient une croisière autour du monde sur le navire Sea Princess, la police australienne a demandé l'aide de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour enquêter ici, au Québec, sur la préparation du voyage durant lequel 95 kg de cocaïne ont été découverts dans les valises des trois plaisanciers. Les enquêteurs fédéraux ont demandé et obtenu plusieurs mandats devenus publics récemment.

Mystérieux mécène

On y apprend notamment que c'est en juin 2016 qu'Isabelle Lagacé, 29 ans, s'est fait offrir une croisière internationale de sept semaines, au coût de 22 000 $, par un homme inconnu, alors qu'elle travaillait au resto-bar Notre Société, à Longueuil.

Toutefois, des billets aux noms d'Isabelle Lagacé et d'André Tamine ont été réservés auprès de la société Touram dès le 4 mai 2016. Ceux de Mélina Roberge et d'un quatrième individu, M. C, ont été réservés deux jours plus tard et ceux de deux autres hommes, N. K. et S. C., le 14 mai suivant. Ces six personnes ont pris le même vol pour l'Irlande le 8 juillet.

Des valises pleines de drogue

Leur croisière a débuté le 9 juillet à Douvres, en Angleterre. Le 16 juillet, le Sea Princess était amarré au port de Sydney, en Nouvelle-Écosse. M. C. a alors fait l'objet d'une enquête par les douaniers canadiens. Il a déclaré que sa destination finale était l'Australie, mais, pour une raison inconnue, il n'est pas retourné sur le navire. Il partageait la cabine C537 avec André Tamine.

Le 28 août, le navire a accosté à Sydney, en Australie. Les douaniers ont trouvé 35 kg de cocaïne dans une valise dans la cabine P312 que partageaient Isabelle Lagacé et Mélina Roberge. Lagacé a spontanément déclaré que la valise lui appartenait, mais qu'elle n'avait pas la clé du cadenas.

Les douaniers ont également découvert 60 kg dans une valise dans la cabine occupée par Tamine, mais rien dans la cabine A715 occupée par les deux autres voyageurs.

Du jamais-vu

L'agent de voyages de Montréal interrogé par les enquêteurs de la GRC a raconté qu'à la mi-avril, deux individus, André et Joe (ou John), l'ont rencontré pour s'informer d'une croisière partant de Douvres et se terminant en Australie. Ils se disaient prêts à payer comptant pour les billets des voyageurs, à 22 000 $ chacun, pour le compte d'une entreprise.

L'agent a dit aux policiers n'avoir jamais vu une telle transaction en 30 ans de métier. C'est l'agent lui-même qui a réservé la croisière auprès de Touram avec sa carte de crédit personnelle et qui a été le contact pour les visas. Il a vu André et Joe deux fois seulement. Il a dit n'avoir jamais eu leur numéro de téléphone. Ce sont eux qui l'appelaient pour envoyer quelqu'un lui remettre de l'argent ou des documents.

Les enquêteurs ont toutefois été titillés par le fait que l'agent ne leur a parlé que de quatre voyageurs, et non de six. Ils ont obtenu un mandat pour perquisitionner à l'agence.

Un conjoint affolé

Les enquêteurs de la GRC ont interrogé plusieurs personnes dans l'entourage des deux jeunes femmes. On leur a dit qu'un «homme inconnu riche et généreux» avait payé la moitié du billet de Mélina Roberge et qu'Isabelle Lagacé avait payé l'autre moitié.

Après l'arrestation des deux plaisancières, un certain Alex, qui s'est présenté comme le conjoint d'Isabelle Lagacé, a appelé la mère de cette dernière et lui a demandé la clé du logement de sa fille, car il avait le mandat de celle-ci de vendre tous ses biens. Alex a aussi dit qu'il voulait lui trouver un avocat et se faire installer une ligne téléphonique terrestre, pour communiquer avec elle dans sa prison australienne où seuls les appels à frais virés sont acceptés.

Grâce à différentes méthodes d'enquête, les policiers fédéraux ont identifié Alex comme étant Alexandre Ovalle.

L'ombre des Hells Angels?

Alexandre Ovalle, 34 ans, alias l'Espa, a été condamné à une peine de 30 mois pour gangstérisme, complot, trafic de stupéfiants et possession d'arme à la suite de son arrestation dans l'opération Carcan, par laquelle la Sûreté du Québec a démantelé trois cellules de trafic de stupéfiants liées aux Hells Angels en novembre 2011. Il aurait été responsable d'une cache de stupéfiants à Carignan.

Un de ses complices dans cette affaire - qui avait le même avocat - était Karim Abou Aichi, qui a reçu une peine de deux ans pour gangstérisme, complot et trafic. Aichi a lancé sur Facebook une controversée et éphémère campagne de financement pour venir en aide à Isabelle Lagacé après l'arrestation de celle-ci.

Les enquêteurs de la GRC ont demandé les relevés téléphoniques d'Ovalle et d'Aichi. Les deux hommes n'ont toutefois jamais été arrêtés et accusés dans l'affaire du Sea Princess.

Pour rembourser une dette

Isabelle Lagacé a plaidé coupable d'importation d'une importante quantité de drogue en Australie en décembre 2016. Elle recevra sa peine le mois prochain. À un procureur australien, elle a raconté avoir accepté de transporter de la cocaïne pour rembourser une dette de 20 000 $. Mélina Roberge, 23 ans, et André Tamine, 64 ans, doivent en principe avoir leur procès dans les prochaines semaines.

Fait à noter, selon les documents, le nom d'un autre homme faisait partie du groupe de six voyageurs avant d'être remplacé par celui de Mélina Roberge le 21 juin 2016. Le conjoint de la jeune femme - qui était dans sa vie au moment des événements - avait des antécédents de trafic de cocaïne et de voies de fait. En Australie, la cocaïne vaut cinq fois plus cher qu'au Canada, en raison de la rareté.

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Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

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Alexandre Ovalle