Ajout d'effectifs, augmentation des budgets, investissements dans les nouvelles technologies et à l'étranger, embauche de personnel atypique : la Gendarmerie royale du Canada (GRC) refait de la lutte contre le crime organisé son cheval de bataille.

Après des années où le crime organisé a, selon elle, profité de dénouements judiciaires retentissants et de toute l'attention accordée au terrorisme, la police fédérale souhaite un retour de balancier contre les organisations criminelles. Mais la GRC n'a pas l'intention de faire les choses comme avant.

«La façon dont on faisait les dossiers d'enquête il y a 15 ans, c'est dépassé. Le bandit qui parle au téléphone et la police qui écoute, ça n'existe plus. Aujourd'hui, tout est crypté», affirme Gilles Michaud, sous-commissaire de la GRC et responsable des enquêtes de lutte contre le crime organisé, de la sécurité nationale et des crimes technologiques.

En entrevue exclusive avec La Presse, M. Michaud, qui est de passage à Montréal cette semaine pour la conférence de l'Association canadienne des chefs de police, a déclaré que le crime organisé fait autant de tort, sinon plus, à la société que le terrorisme, et que les citoyens ne le perçoivent pas toujours.

Pire : il constate que, dans la foulée de la série télévisée Sons of Anarchy et de la fin abrupte du procès SharQc, les Hells Angels bénéficient de l'admiration d'une partie de la population et qu'ils sont vus comme des hors-la-loi qui ont vaincu le système judiciaire.

«On voit que présentement, les motards sont en campagne pour se rapprocher des citoyens. On voit même des gens qui prennent des photos avec eux», affirme Gilles Michaud.

«[Les motards] font des représentations auprès d'associations de motocyclistes légitimes pour obtenir des choses des gouvernements. Pourtant, ce sont des criminels violents qui vendent de la drogue à nos jeunes, il faut changer ça», précise M. Michaud, selon qui la situation est telle qu'une campagne de sensibilisation auprès de la population sera bientôt lancée.

«Une bonne partie du public canadien ne voit peut-être pas que le crime organisé fait partie de notre vie de tous les jours. À travers ses activités illicites, son infiltration dans l'économie légale, les profits générés par ses activités, l'influence qu'il exerce à certains niveaux de notre société, le crime organisé a un impact sur nos vies», ajoute le sous-commissaire.

Des moyens plus sophistiqués

Outre SharQc, près de cinquante membres présumés de la mafia montréalaise arrêtés à la suite de l'enquête Clemenza de la GRC ont bénéficié d'un arrêt du processus judiciaire en 2017. D'autres individus liés au crime organisé ont été libérés dernièrement en vertu de l'arrêt Jordan qui limite les délais judiciaires. Le crime organisé, durement frappé ces dernières années par tous les corps de police confondus, se relève, se raffine et utilise des moyens toujours plus sophistiqués. La police doit s'adapter pour être à la page.

M. Michaud annonce une nouvelle façon de combattre le crime organisé en plusieurs volets, notamment par des investissements dans les technologies et à l'étranger.

«Maintenant, on ne parle plus d'une preuve en documents papier, mais plutôt de logiciels, de banques de données, de terabytes d'information, de data. Il faut de nouvelles technologies pour analyser la preuve et la rendre digeste devant les tribunaux.»

«Le crime organisé n'a plus de frontières. La technologie fait en sorte que c'est facile pour les criminels de communiquer, de transiger de façon discrète à travers des réseaux», affirme Gilles Michaud.

«Il faut travailler avec les autorités des autres pays, comme les États-Unis ou les pays d'Amérique centrale et du Sud, pour s'attaquer à la criminalité avant qu'elle atteigne nos frontières», explique M. Michaud.

À la recherche de nouvelles expertises

Le sous-commissaire croit aussi que davantage d'argent devrait être consacré à l'infiltration des organisations criminelles, et que la GRC ne doit plus seulement penser à embaucher des policiers pour lutter contre le crime organisé. Des civils aussi.

«Le genre d'enquêteurs et d'expertise recherchés pour faire ces enquêtes spécialisées ne passe pas nécessairement par des policiers formés à Regina, qui font de la patrouille pendant des années, qui se retrouvent ensuite dans des secteurs d'enquête et qui grandissent dans l'organisation. On parle de blanchiment d'argent, de crimes financiers et de technologie», dit M. Michaud.

«Il y a des gens qui ne sont pas policiers, qui ont l'expertise et qui veulent nous aider. Il faut les amener dans notre organisation, à différents niveaux.»

L'officier a fait partie de la fameuse escouade Carcajou qui a lutté contre les motards durant la guerre sanglante des années 90. Il constate que les Hells Angels ont beaucoup appris et constituent, en 2017, l'organisation criminelle qui «a le plus d'impact au Canada».

Le sous-commissaire ne pense pas que durant les années de vaches maigres de la lutte contre le crime organisé depuis 2014, l'expertise, le renseignement et les connaissances de la GRC envers le crime organisé - la mafia, notamment - se soient amoindris. «Mais il faut réinvestir dans notre expertise, car l'environnement change», admet-il.

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Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou à l'adresse postale de La Presse.