Le procès pour meurtre de Tarik Biji, Garmy Guerrier et Jason Côté n'est ni le procès de la prison de Bordeaux, ni le procès des agents correctionnels, ni une commission d'enquête. Il s'agit du procès de trois hommes qui se sont entendus pour donner une sournoise raclée d'une «cruauté inimaginable» à un homme sans défense pour lui «taxer» ses quelques grammes de tabac.

C'est cette version des évènements du 21 juin 2016 qu'a martelé mardi le procureur de la Couronne Me Louis Bouthillier lors de ses plaidoiries, étape finale du procès devant jury amorcé il y a trois semaines au palais de justice de Montréal.

Les trois hommes sont accusés du meurtre au premier degré de Michel Barrette, 46 ans, à l'Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux). Ce chef d'accusation signifie que le meurtre a été commis alors que la victime était séquestrée dans la cellule 203 de la prison, entre 18h22 et 18h45. Il est mort plus de deux heures plus tard d'une hémorragie interne à la rate. Il avait aussi subi des fractures à la plupart des côtes et au sternum.

«Convoqué» dans la cellule 2013 par Tarik Biji, le représentant du puissant comité de détenus, Michel Barrette a été battu «sans ménagement à coups de pieds et à coups de poing» par les accusés, et probablement par d'autres complices qui se trouvaient dans la cellule, selon la poursuite. Sur une vidéo de surveillance, on les voit même célébrer le passage à tabac de Michel Barrette dans la corridor.

«De toute évidence, il y a une volonté concertée de ces hommes, qui ne sont pas des jeunes hommes ou des adolescents, qui s'encouragent les uns les autres, qui continuent de façon répétée à frapper, à assister et à encourager leurs congénères de frapper un être humain qui ne se défend pas et qui a commis pour seuls crimes de ne pas vouloir donner le tabac qu'il a sur lui», conclut Me Bouthillier dans sa plaidoirie.

La preuve de la poursuite repose principalement sur les vidéos de surveillance qui montrent les allées et venues des accusés et des témoins entre les cellules, ainsi que sur les témoignages de deux ex-détenus, seuls témoins oculaires du meurtre. Ceux-ci ont assisté à seulement quelques minutes de l'agression, à des moments différents.

«Je salue leur courage. Pas facile ce qu'ils ont fait. Il y a la loi du silence en prison. Ces gens-là ont eu le courage de parler devant vous. Sachez que depuis les évènements, Émard est retourné en prison et que [l'autre témoin] risque d'y retourner. Tenez-en compte pour évaluer leur fiabilité», a dit le procureur au jury.

Selon la version d'un témoin, dont l'identité est protégée par une ordonnance de la cour, Tarik Biji est arrivé dans sa cellule, au fond du corridor, en tenant Michel Barrette avec une clé de cou. Sur les vidéos de surveillance, on peut voir Tark Biji pénétrer dans la cellule, en suivant de très près la victime, a fait remarquer Me Bouthillier.

Le coaccusé Garmy Guerrier a alors asséné plusieurs coups de poing au ventre de Michel Barrette, selon le témoin-clé. Tarik Biji aurait ensuite donné des coups de pied au visage de la victime, comme «on écrase une fourmi». Le témoin affirme être ensuite allé au chevet de Michel Barrette et d'avoir tenté de le réanimer. Il est ensuite sorti de la cellule deux minutes après son entrée, ce que confirme une vidéo de surveillance.

PHOTO COURTOISIE

Tarik Biji

L'autre témoin-clé de la poursuite, Jean-François Émard (qui n'est pas le membre des Rock Machine), a dépeint dans son témoignage Tarik Biji comme le «chef d'orchestre» de l'agression, celui qui «dirige les opérations et donne les ordres», rappelle Me Bouthillier. Le témoin a aussi impliqué l'accusé Jason Côté dans le passage à tabac.

Devant les enquêteurs, le lendemain du meurtre, il a toutefois choisi la photo de l'autre témoin de la poursuite, dont l'identité est protégée, comme un des hommes qui avaient battu la victime. Or, Émard et l'autre témoin n'ont jamais été dans la cellule au même moment, selon les vidéos de surveillance, précise Me Bouthillier. «Il s'est trompé de Noir», a répété le procureur. Selon lui, Garmy Guerrier et un autre homme noir étaient dans la cellule en même temps que Émard.

Les trois accusés n'étaient pas seuls dans la cellule 203 pendant les 23 minutes fatidiques. «3, 4, 5, 6, 7 personnes, 8 personnes auraient participé directement ou indirectement à la mort de M. Barrette», avance Me Bouthillier dans sa plaidoirie. Pendant cette période, on peut voir les trois accusés, en particulier Tarik Biji, faire des aller-retour entre la cellule 203 et la cellule 207 de Michel Barrette et Jean-François Émard. Selon Me Bouthillier, ils cherchaient ainsi le tabac qu'aurait peut-être caché la victime.

«Si [les trois accusés] n'étaient pas d'accord, pourquoi sont-ils retournés [dans la cellule]? Pourquoi y sont-ils retournés? Pourquoi y sont-ils restés pendant 23 minutes?», a plaidé Me Bouthillier.

Mercredi matin, ce sera au tour des trois avocats de la défense, Me Gary Martin, avocat de Tarik Biji, Me David Petranic, avocat de Garmy Guerrier et Me Fanie Lacroix, avocate de Jason Côté, de présenter leurs plaidoiries au jury. Notons que les accusés n'ont pas présenté de défense.

Jason Côté