« Tu chilles. Tu t'amuses. Tu vois les différents groupes. Tu bois du thé avec les Syriens. Tu fais ce que tu veux. Tu vois les gens, y ont des armes, y s'amusent. Comme un camp de vacances.»

C'est ainsi que le suspect de terrorisme Ismaël Habib a décrit son séjour en Syrie, en 2013, à un agent d'infiltration de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le Montréalais de 29 ans, qui subit actuellement son procès, racontait avoir payé 1000 $ pour un fusil d'assaut AK-47, avoir fouetté un prisonnier de guerre et être prêt à tout pour retourner «faire le djihad».

Nous sommes le 25 février 2016. Ismaël Habib est assis dans le bureau attenant à un entrepôt loué par la GRC, quelque part à Montréal. Il croit s'adresser au patron d'une organisation criminelle de passeurs illégaux et de fabrication de faux passeports. L'homme à qui il parle est en vérité un agent de police infiltré dont le mandat est de le faire parler de son voyage en Syrie et de ses intentions d'y retourner pour gonfler les rangs du groupe armé État islamique (EI).

La conversation est filmée à l'insu du suspect. Ce dernier est bavard. Il admet d'emblée à son interlocuteur vouloir « faire le plus que je peux pour aider l'État islamique de toutes les manières : financièrement, physiquement ou pour mourir. Tout ce qu'ils ont besoin. »

Les médias ont obtenu la transcription de la conversation, d'une durée de plus de deux heures et demie. Précisons qu'à ce stade-ci du procès, rien ne prouve que l'accusé a dit la vérité à l'agent infiltré.

VOYAGE DANS UN UNIVERS DE VIOLENCE

Son récit ouvre toutefois une rare fenêtre sur la vie des jeunes Canadiens qui ont fait le voyage vers le djihad. Habib aurait passé trois mois en Syrie, à l'automne 2013, avant d'être arrêté en Turquie, le pays voisin, et renvoyé au Canada.

L'histoire qu'il a racontée à l'agent d'infiltration nous amène dans un univers de violence où s'entredéchirent plusieurs groupes opposés au régime du président Bashar al-Assad. À cette époque, certains sont vus comme des alliés par l'Occident, l'Armée syrienne libre, par exemple, alors que d'autres, comme le groupe armé État islamique ou le Front al-Nosra, sont considérés comme terroristes.

En 2013, l'EI est un groupe parmi d'autres qui gagne rapidement en puissance. Il ne contrôle pas encore le territoire et n'a pas déclaré de califat.

C'est dans ce contexte un peu chaotique qu'Ismaël Habib entre en Syrie. C'est la première fois qu'il y va. Il est accompagné dit-il, par son beau-frère, lui aussi un Montréalais.

« Quand t'arrivais en Syrie, n'importe qui pouvait rentrer. T'arrives là, t'as tous les groupes. T'as toutes les différentes bâtisses, pis tu vas rejoindre le groupe que tu veux. Maintenant, c'est différent, poursuit le jeune homme. Tu peux aller juste dans un groupe [l'EI]. »

Habib explique que, pour contourner le fait qu'il est sur la liste d'interdiction de vol américaine, il prend un vol du Canada vers Francfort, en Allemagne. Il part ensuite vers l'Algérie, puis vers la Turquie, d'où il traverse à pied en Syrie avec de faux papiers. 

Son beau-frère et lui achètent des fusils d'assaut AK-47 dès leur arrivée. Ils payent 1800 $ pour les deux armes. « Tu peux pas être sans arme là-bas », raconte Habib d'un ton animé à l'agent d'infiltration.

LE « PUNCHING BAG » DU GROUPE

L'homme, qui a 26 ans à l'époque, dit passer ses premières semaines sur une base de l'Armée syrienne libre. Les gars sont « smooth », dit-il, ajoutant qu'il n'aime pas qu'ils fument et qu'ils ne « veulent pas la charia [loi islamique] ».

Ils ne le forcent pas à se battre. « Tu viens faire de la garde à la base même s'il y a pas de conflit [...], au cas où ils se font attaquer. »

C'est sur cette même base que Habib admet avoir fouetté un prisonnier, qu'il qualifie de « punching bag » du groupe.

Hier, la Couronne a déposé une vidéo de l'accusé en pleine action. Elle a été découverte dans un ordinateur au domicile de la famille du beau-frère d'Ismaël Habib à Montréal, lors d'une perquisition en juin 2015.

On y voit un Ismaël Habib barbu et plus rond qu'aujourd'hui, habillé d'un pantalon et d'un t-shirt à motif de camouflage, qui frappe un jeune homme de toutes ses forces avec une corde en lui criant des injures. « Combien de femmes t'as violées ? »  « Sale chien ! »

Il racontera à l'agent infiltré qu'il n'a pas aimé l'expérience.

Habib et son beau-frère passent ensuite dans le camp du groupe Ahrar al-Sham, où « y'avait trop d'enfants » au goût du beau-frère de l'accusé, dit-il. « Pis y mettaient de la musique tard le soir. De la musique islamique, là. Pis lui, y arrivait pas à dormir. »

Le duo tombe alors sur des combattants tchétchènes avec qui l'accusé raconte s'être entraîné « à marcher avec un fusil, à charger et décharger, à nettoyer et à tirer ».

« À un moment donné, on s'est fait attaquer par les Kurdes. Fallait se défendre. Ils nous envoyaient au front. On s'est ramassés toute une grosse gang, tous les groupes. À la fin : ah ! non, on veut faire la paix avec eux. [...] Y a pas eu de combat. »

AIMER LA MORT

Après trois mois à se promener d'une base à l'autre, à « aller au café internet », à « prendre des esclaves », à s'entraîner, à « chiller » et à prier, selon ses mots, Habib est retourné en Turquie.

Il souhaitait aller chercher sa femme et ses deux enfants pour les ramener en Syrie avec lui. Il s'est fait prendre.

Depuis, dit-il à l'agent, il veut retourner. Il souhaite aider à instaurer un État islamique et il espère « mourir dans le chemin de Dieu ». « On aime la mort comme vous aimez la vie », dit-il.

« Si tu ne meurs pas dans le chemin de Dieu, t'as vécu pour rien. »