Daphné Boudreault avait peur d'Anthony Pratte-Lops. Son ex-copain l'avait déjà battue et prenait très mal leur récente rupture. Néanmoins, les policiers auraient refusé d'escorter la jeune femme jusqu'à son ancien appartement, même si elle venait d'appeler le 9-1-1 pour dénoncer le harcèlement qu'elle subissait. Quelques heures plus tard, elle y était tuée à coups de couteau. Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) a été appelé hier à faire la lumière sur l'intervention de la Régie intermunicipale de police Richelieu-Saint-Laurent.

Anthony Pratte-Lops a été accusé du meurtre prémédité de Daphné Huard-Boudreault, 18 ans, hier après-midi au palais de justice de Saint-Hyacinthe. Menottes aux poignets, l'accusé de 22 ans avait la tête basse à la lecture de l'unique chef d'accusation. Barbe mi-longue et crâne rasé, il affichait un visage imperturbable. Il n'a pris la parole qu'à deux reprises pour acquiescer à des questions du juge. Il n'a enregistré aucun plaidoyer lors de sa comparution, à laquelle assistaient des proches de la victime et des curieux. Il reviendra en cour le 19 avril.

Daphné Boudreault avait rompu la semaine dernière avec Anthony Pratte-Lops, son copain depuis deux ans. Or, ce dernier considérait plutôt être « en pause ». Mercredi matin, il avait découvert qu'elle fréquentait un autre homme. Furieux, il a débarqué à 5 h 30 au travail de Daphné pour l'invectiver, raconte sa collègue de travail au dépanneur, Sophie-Andrée Savard.

Tirée de Facebook

Daphné Boudreault

Un an plus tôt, Daphné Boudreault avait appelé la Sûreté du Québec pour violence conjugale, affirment ses collègues Shanon Meilleur et Stéphanie Peddie. D'autres amies de la victime ont confirmé à La Presse le passé violent de l'accusé.

ESCORTE POLICIÈRE DEMANDÉE

« Elle leur a dit : "Ça fait deux ans que j'ai peur de lui et que je veux partir." Mais ça ne leur a pas sonné de cloche ! », confie Sophie-Andrée Savard, qui a assisté à la discussion de Daphné Boudreault avec les quatre policiers. Elle a alors demandé une escorte policière afin d'aller récupérer son téléphone volé dans l'appartement de son ex-conjoint. « Les policiers n'ont pas voulu escorter Daphné, parce qu'ils ne voulaient pas alerter la propriétaire de M. Pratte-Lops. Daphné craignait pour sa vie, elle pleurait, elle avait peur. En quittant [vers 11 h 45], elle m'a dit qu'elle allait porter plainte à la police », raconte sa collègue et amie Stéphanie Peddie.

« Elle m'a dit : "Est-ce qu'il faut que je meure pour que les policiers fassent quelque chose ?" », raconte Shanon Meilleur. La suite des évènements reste floue, jusqu'à l'intervention d'une policière à 12 h 28. La jeune femme devait se rendre avec sa belle-mère à son ancien appartement, le sous-sol d'une résidence de Mont-Saint-Hilaire, pour récupérer ses effets personnels. Or, sa belle-mère est arrivée 10 minutes après elle. Mais déjà, Anthony Pratte-Lops avait été menotté par les policiers et la jeune femme était grièvement blessée. La propriétaire de la maison, Eunice Jolin, n'a rien entendu, puisqu'elle se trouvait à l'étage au moment du meurtre. « J'étais sous le choc, c'était irréel », raconte-t-elle.

UN HOMME BRISÉ

« Anthony m'a appelé avant de commettre son geste. Pendant longtemps, on a essayé de le raisonner. [Daphné] a quand même demandé une escorte policière, et ils ne sont pas arrivés à temps... », confie Alexis Massé, le nouveau copain de Daphné Boudreault. Il était un homme brisé hier, submergé par l'émotion. Il tenait néanmoins à assister à la comparution pour « regarder dans les yeux » l'accusé « pour qu'il comprenne qu'il n'avait pas le droit d'enlever la vie d'une personne à qui beaucoup de gens tenaient et qui était merveilleuse », a-t-il raconté en sanglotant à l'extérieur de la salle de cour.

ENQUÊTE SUR LE TRAVAIL DES POLICIERS

À Québec, le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux s'est montré satisfait que le BEI se penche sur le travail des policiers dans cette affaire « pour voir si effectivement, tout a été fait correctement ». « C'est toujours important que tous les signaux soient pris très au sérieux », a dit le ministre. Mais pour la députée de Québec solidaire Manon Massé, il est clair que de sérieuses questions se posent sur le travail des policiers. « C'est plutôt évident que la police n'a pas assez pris au sérieux - comme ça arrive - des femmes qui disent "je suis en danger, il va m'arriver quelque chose" », a-t-elle dit. La SQ enquête sur le meurtre.

Quelques heures avant la mort de Daphné Boudreault, mercredi, Anthony Pratte-Lops a publié sur Facebook deux vidéos au contenu fort troublant. Ces vidéos de quelques minutes risquent de devenir des éléments de preuve importants pendant le procès. « Je te souhaite tout le malheur du monde  ! Je te souhaite que tu ne sois jamais heureuse. Tu me dégoûtes  ! », rugit-il dans une vidéo diffusée vers 9 h du matin, donc après son apparition sur les lieux du travail de Daphné Boudreault. « J'essaie juste de te montrer mon amour, de me battre pour la femme que j'aime  ! », rage-t-il, faisant ensuite un doigt d'honneur à la caméra.

- Avec Martin Croteau, La Presse