Une Montréalaise de 73 ans est accusée d'avoir mis sur pied un système de vol et de revente de nourriture aussi simple qu'audacieux.

Le procédé était très simple : les voleurs se rendaient chez Jeanine Johnson avec leur butin. Ils entraient par la porte arrière et présentaient leur récolte : de la viande, du bacon, des gâteaux Vachon, des fromages, des crevettes et du saumon fumé. Elle leur versait 40% du prix affiché sur l'étiquette et les revendait 50% à sa clientèle fidèle.

C'est du moins ce qui ressort de la preuve amassée par la police contre la Montréalaise de 73 ans qui vient d'être accusée de complot et de recel. Elle est passible d'une peine d'emprisonnement de 10 ans, étant donné que la valeur des fruits de l'infraction excède 5000 $.

L'accusée serait au coeur d'un réseau de vol d'aliments dans les épiceries du quartier Pointe-aux-Trembles, peut-on lire dans un document judiciaire. On y apprend que la dame vendrait également des cigarettes de contrebande dans de petits sacs de plastique à sandwichs, au prix de 20 $ le sachet. 

Jeanine Johnson aurait reçu ses clients chez elle. Son commerce était ouvert de 8h à 19h. Elle conservait sa viande dans un gros congélateur horizontal et les aliments non périssables dans un meuble, juste à côté. Ses clients repartaient avec leurs achats dans des sacs, après avoir fait leur épicerie. La dame avisait sa clientèle par téléphone, selon les arrivages, mais d'après la police, le commerce était quotidien, et une dizaine de clients se présentaient à son domicile tous les jours. 

Lorsqu'elle manquait de stock, Mme Johnson en informait ses fournisseurs par téléphone. L'année dernière, période au cours de laquelle le réseau aurait opéré, les épiceries voisines ont rapporté de nombreux vols de viande, fromages et vins. Jeanine Johnson aurait aussi, parfois, eu des viniers en stock. 

Le nom de tous les voleurs ainsi que celui des clients avec leur état de compte seraient contenus dans le carnet rouge de Mme Johnson. Le petit-fils de l'accusée, qui vit avec sa grand-mère, «joue les gros bras pour les mauvais payeurs», précise également le document. 

En plus de son commerce d'aliments, Jeanine Johnson aurait aussi une armoire avec de menus articles volés, comme des savons et des lames de rasoir. 

Le sergent détective Joffrey Simard-Cadieux du SPVM confirme que le cas Jeannine Jonhson est «un dossier assez inusité». Aucun client n'a été appréhendé dans cette affaire, mais plusieurs voleurs qui fournissaient la receleuse ont été accusés.

Rencontrée chez elle récemment pour une brève entrevue, Mme Johnson a assuré qu'elle vendait des aliments volés uniquement pour aider les gens du quartier. Elle conteste d'ailleurs la version policière et affirme qu'elle ne touchait aucun profit sur la revente. Ses activités sont maintenant terminées, promet la dame âgée et malade, donnant pour preuve le congélateur débranché à côté de la table de la cuisine. 

La contrebande alimentaire 

Le vol d'aliments dans les commerces est difficile à contrôler et à évaluer. Malgré cela, l'Association des détaillants en alimentation du Québec estime que les vols représentent 1% du chiffre d'affaires des épiciers. 

Une partie est commise par des employés; 30%, estime le regroupement québécois. «En général, les employés volent pour leur consommation personnelle, explique le directeur général de l'Association, Florent Gravel. Ils ne sont pas organisés comme les autres voleurs qui remplissent des sacs.» 

Serge Godin, propriétaire du IGA Extra de Pointe-aux-Trembles, connaît trop bien le phénomène. «En une minute, ils peuvent vider un comptoir de crevettes. Et je ne crois pas que ça soit pour se faire une soirée de fruits de mer...», dit-il. 

En plus de soutenir les activités de recel d'aliments, comme celles de Mme Johnson, les voleurs proposent leurs produits à des restaurants, des bars et à monsieur et madame Tout-le-Monde, au hasard dans des commerces ou sur la rue. Serge Godin s'est déjà fait offrir, dans son quartier, à la sortie du guichet, de la viande par un revendeur à bicyclette. Il a manifesté son intérêt afin de vérifier la provenance de la marchandise, pour constater que toute la viande qu'on lui offrait venait de son magasin. Il a récupéré le sac. Sans payer.

Un fléau

Le phénomène de vol en épicerie est constant, explique Florent Gravel, et peu lié à la fluctuation du prix des aliments. Les filous dérobent évidemment les produits les plus chers, en tout temps. Florent Gravel confirme que le comptoir des viandes et charcuteries, ainsi que le vin, est plus souvent la cible des voleurs sérieux, qui revendent la marchandise. L'épicier Serge Godin ajoute les fruits de mer en haut de la liste d'épicerie des voleurs. 

«Certains magasins se font plus voler que d'autres», ajoute Florent Gravel, précisant que les malfaiteurs préfèrent évidemment les commerces où il y a peu de surveillance. 

«Ils reviennent toujours, raconte Serge Godin, même après s'être fait pincer. Parfois, ils changent de circuit pour un bout de temps, puis on les voit revenir. Ce sont des réseaux bien organisés et ils ne vivent que de ça.»