Les centres jeunesse sont la plaque tournante permettant aux gangs de rue d'attirer des jeunes filles mineures pour les livrer en pâture à la prostitution. Et même si la prostitution juvénile est en croissance au Québec, les policiers sont de moins en moins vigilants à l'égard de l'exploitation sexuelle.

Après six mois d'audiences régionales, entre juin et décembre 2013, au cours desquels 193 organismes ont été consultés, le constat du Comité interministériel sur l'exploitation sexuelle donnait déjà froid dans le dos, près de deux ans avant la série de fugues médiatisées de mineures à Laval. « Les centres jeunesse sont des lieux privilégiés de recrutement de mineures », observent sans appel les auteurs du document marqué « confidentiel », obtenu par La Presse.

Daté du 17 février 2014, le document était destiné à l'ex-ministre de la Condition féminine Agnès Maltais. Hier, la ministre déléguée à la Protection de la jeunesse, Lucie Charlebois, a soutenu « qu'il n'y avait pas de rapport » et qu'on s'était contenté, avant les élections, de faire la nomenclature des interventions entendues lors de ces audiences publiques. Or, le Résumé des consultations régionales et suprarégionales va beaucoup plus loin.

Destination l'Ontario et l'Ouest

On y constate que « les gangs de rue sont les principaux recruteurs de mineures », que les jeunes fugueuses « sont très vulnérables » et sont ciblées dans des lieux particuliers - « gares d'autocars, stations de métro et proximité des centres jeunesse ». L'internet et les médias sociaux « sont devenus des outils de recrutement très efficaces. Les recruteurs n'ont plus besoin de se déplacer, les mineures viennent à eux ». Les jeunes filles venues de milieux plus isolés et les jeunes autochtones sont particulièrement à risque.

Le rapport retient que certains gangs de rue « transportent d'une ville à l'autre des mineures qu'ils ont enjôlées. Ils passent trois ou quatre jours dans un motel d'une ville et recrutent des clients par les réseaux sociaux ».

« Leur objectif est de casser les mineures puis de les amener en Ontario ou dans les provinces de l'Ouest, où les risques d'être arrêtés sont moins grands. En région éloignée, les mineures sont transportées pour une courte période dans des motels à proximité des grands axes de transport. Les clients sont informés de leur présence par les réseaux sociaux », peut-on lire dans le rapport

Éducation sexuelle à réintégrer

La prostitution juvénile est en croissance. « Partout, de nouvelles pratiques sexuelles associées à de l'exploitation sont en émergence chez les jeunes ; petits réseaux de prostitution juvénile autogérés par les mineures, fêtes dans les maisons privées où, moyennant un frais fixe, alcool, drogues et mineures sont disponibles à volonté, concours sexuels de tout genre, etc. »

Même si ce n'était pas son mandat, le comité formule quelques recommandations. L'une porte sur les mineures. « Tous les participants aux consultations ont déploré l'insuffisance actuelle de l'éducation à la sexualité, les effets délétères d'internet et des sites pornos sur la perception de la sexualité chez les jeunes. » On recommande « la réintégration à l'école d'un programme d'éducation à la sexualité, à tous les cycles du primaire et du secondaire, adapté à la réalité actuelle des jeunes, mettant l'accent sur une sexualité saine et égalitaire ».

Pas une priorité policière

La police intervient en priorité quand elle croit que des mineures sont impliquées dans un réseau de prostitution. Mais dans l'ensemble, les corps de police restent plutôt indifférents devant le phénomène quand il ne comporte pas de violence ou de stupéfiants. En 2012, on a relevé seulement 299 infractions liées à la prostitution dans l'ensemble du Québec. « Ces statistiques ne reflètent pas l'ampleur du phénomène de l'exploitation sexuelle telle que révélée lors des consultations », observe le document.

Les statistiques « sont un indicateur de la faible activité policière en matière de prostitution. Plusieurs services de police ont indiqué que la prostitution n'était pas une priorité ». Les policiers interviennent quand des citoyens leur adressent des plaintes, la prostitution de rue et les bars devenus des nuisances publiques sont par conséquent plus étroitement contrôlés. Les enquêtes sur la prostitution sont jugées « longues, coûteuses, trop exigeantes au niveau de la preuve et peu rentables en terme de condamnations obtenues ».

Trois autres constats du rapport

Les « escortes »

Les services d'escortes sont présents partout sur le territoire québécois, les agences sont faciles à repérer - elles s'annoncent dans les journaux locaux. Ce secteur « est plus difficile à infiltrer et à documenter » et est souvent associé au trafic de stupéfiants.

Salons de massage en croissance

L'activité en croissance actuellement : les salons de massage offrant des services sexuels, qui sont « de plus en plus nombreux surtout dans les grandes villes ». En grande majorité, il s'agit de jeunes Québécoises, mais dans certains quartiers de Montréal et à Gatineau, on retrouve davantage d'Asiatiques. Le comité demande que l'on force les municipalités à adopter des règlements plus contraignants pour les salons de massage et les bars de danseuses.

La prostitution de rue en déclin

La prostitution de rue « est partout en déclin » et est peu fréquente en région. Ces prostituées sont « au bas de la hiérarchie ». Les bars de danseuses sont « en constante diminution partout au Québec ». Comme les danseuses, qui viennent en majorité de la région de Montréal, doivent payer leur « stage » - un loyer pour pouvoir danser -, les danses contacts et les isoloirs « sont alors leur première source de rémunération », observent les spécialistes.