L'enfer sous terre, à coups de poing et de malnutrition : un pasteur baptiste a battu et maltraité pendant des années plusieurs jeunes garçons qu'il gardait prisonniers dans son sous-sol, dans un quartier résidentiel de Québec.

Le leader religieux, renié par les réseaux protestants officiels, fait maintenant l'objet d'une enquête criminelle du Service de police de la Ville de Québec, a appris La Presse.

Les jeunes victimes - au moins sept - lui étaient confiées par leurs parents, des fidèles de l'Église évangélique baptiste de Québec-Est. Les garçons subissaient ensuite des violences et des traitements inhumains, et ne quittaient le sous-sol du logement jumelé que pour des cérémonies religieuses, «n'établissant aucune forme de contact avec le monde extérieur», selon des décisions judiciaires.

Le pasteur distribuait généreusement «des coups de poing au visage et des coups portés à l'abdomen», selon des jugements en protection de la jeunesse.

Un jeune de 15 ou 16 ans a été forcé d'effectuer «8000 redressements "up-and-down" au cours d'une seule journée, sans boire ni manger». L'exercice, aussi surnommé «burpee», consiste en un push-up et un bond dans les airs. Le même garçon, qui a passé six ans dans le sous-sol du pasteur, «fut privé de nourriture pendant dix repas consécutifs».

Une autre victime a passé «plus de dix ans» auprès du pasteur. Il a expliqué avoir été puni en passant «près de 41 jours» debout face à un mur, ce qui l'a mis «dans un état d'épuisement tel qu'il présentait des vomissements». Sa consommation d'eau était rationnée à tel point que ses visites à la salle de bain devaient se faire «porte entrouverte afin qu'on s'assure qu'il ne boive pas à même les robinets».

«Esclavage» et «torture»

Ces deux jeunes ont été confiés à des familles d'accueil, leurs parents étant jugés incapables d'en assumer la responsabilité. Ils approuvaient - totalement ou partiellement - le sort réservé à leurs enfants.

Un jeune homme qui s'est enfui du sous-sol du pasteur en août 2014, à l'âge de 21 ans, a qualifié sa détention d'«esclavage» et de «torture».

La DPJ avait déjà ouvert une enquête sur l'un des jeunes en 2013, avant de la fermer. L'organisation jure avoir fait son travail et plaide qu'il ne faut pas interpréter son passé avec les informations dont les autorités disposent à présent.

Une voisine, qui se «doutait de quelque chose» mais qui n'avait jamais alerté les autorités, a craqué lorsque La Presse lui a révélé le sort réservé à ces jeunes qui ne sortaient virtuellement jamais de la maison. 

«Je trouve ça épouvantable que je n'aie pas vu ça.»

La loi nous interdit de nommer les jeunes en cause, ainsi que le pasteur au centre du dossier. Celui-ci n'a pas rappelé La Presse. La femme qui a répondu à l'appel acheminé à son domicile a refusé de commenter la situation.

Antécédents de «pratiques abusives»

L'Église évangélique baptiste de Québec-Est comprend un groupe très restreint de fidèles.

Gilles Lapierre, directeur général de l'Association d'églises baptistes évangéliques du Québec (AEBEQ), a indiqué en entrevue que le pasteur du groupe n'est plus membre des réseaux religieux officiels depuis plusieurs années. M. Lapierre a dénoncé les «dérives sectaires» du groupe et a comparé son leader à un «gourou».

Ce dernier avait des antécédents en matière de maltraitance, selon un jugement de la Cour du Québec publié en avril dernier.

Il «a d'abord été associé à une église baptiste dans [une région inconnue du Québec] d'où il a été congédié en raison de ses pratiques abusives à l'égard de jeunes enfants et de son extrême rigidité», a écrit la juge Andrée Bergeron, le 21 avril dernier. Il s'est ensuite associé à un autre groupe, «mais il a dû, là encore, quitter le mouvement en raison de son extrême rigidité et de ses pratiques douteuses».

«Des milieux très isolés»

La DPJ avait ouvert un dossier sur la situation en août 2013, avant de le refermer.

Hier, un porte-parole de l'organisation a défendu l'intervention, plaidant que les informations disponibles avaient évolué entre l'été 2013 et la fin 2014.

Les dossiers liés à «des organisations religieuses qui peuvent s'apparenter à un type de secte» sont pris très au sérieux et font l'objet de «multiples interventions», a indiqué Patrick Corriveau. «Les difficultés qu'on rencontre, c'est ce que sont souvent des milieux très isolés. [...] Souvent, les enfants ont été préparés à l'avance à la venue du directeur de la protection de la jeunesse.»

Selon M. Corriveau, il est «certain» que le sous-sol du pasteur avait été visité par la DPJ en 2013. «Il y a un travail très bien fait de la part des intervenants», a-t-il dit.