(Dubaï, Émirats arabes unis) La nouvelle ébauche d’accord à la COP28 propose de « réduire » plutôt que d’abandonner la consommation et la production d’énergies fossiles, un texte jugé faible et contradictoire par de nombreux observateurs et rejeté par différents pays, qui réclament une plus grande ambition.

La proposition d’accord, publiée lundi après-midi à Dubaï, suggère également que cette réduction devra se faire conformément aux données scientifiques et « de manière juste, ordonnée et équitable » et devra viser la « carboneutralité d’ici 2050 ou autour de cette date ».

Le texte propose aussi plus précisément de « réduire rapidement l’utilisation du charbon sans capture et stockage des émissions (unabated) », de même que de « limiter » les autorisations de nouvelles centrales électriques au charbon sans de telles dispositions d’atténuation.

Il faudrait aussi « tripler la capacité des énergies renouvelables au niveau mondial » et doubler le taux annuel moyen d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici 2030, indique l’ébauche.

Mais l’ensemble de ces propositions sont précédées d’une phrase au conditionnel, indiquant qu’il s’agit de mesures qui « pourraient » être mises en place pour arriver à réduire significativement, rapidement et durablement les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Président insatisfait

L’ébauche de texte comprend des avancées, mais il reste « plusieurs écarts à combler », a prévenu d’un ton grave le président de la COP28, Sultan Al Jaber, en ouvrant la séance plénière réunissant les représentants des États parties, en début de soirée.

PHOTO THOMAS MUKOYA, REUTERS

Sultan Al Jaber

Le temps pour les discussions « tire à sa fin [et] le moment est venu de décider », a-t-il lancé, vêtu de sa gandoura grise des grandes occasions, plutôt que de la gandoura blanche qu’il portait jusqu’alors.

Le président Al Jaber a réitéré son appel à conclure un accord « qui respecte la science », qui permet d’atteindre l’objectif de limiter la hausse de la température moyenne de la Terre à 1,5 °C et qui propose une formulation forte sur l’épineuse question des énergies fossiles.

« Nous avons encore beaucoup à faire », a-t-il lancé aux délégués réunis dans la salle.

Ne nous reposons pas tant que ce n’est pas fait.

Sultan Al Jaber, président de la COP28

Le président Al Jaber n’est pas le seul à s’être montré insatisfait du projet d’accord ; les États-Unis ont appelé à le renforcer « substantiellement », l’Union européenne l’a jugé « insuffisant », tandis que les petits États insulaires ont carrément appelé à son rejet.

« Le texte ne reflète pas encore l’ambition que j’ai entendue de la part des pays », a déclaré de son côté le ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, y reconnaissant néanmoins des signes de progrès, notamment en matière de protection et de rétablissement de la nature.

« Je travaillerai sans relâche pour trouver des solutions pour répondre à la menace mondiale de la crise climatique », a-t-il ajouté, précisant que le Canada souhaite que le texte permette de maintenir l’objectif de 1,5 °C « à portée de main ».

Les chefs de délégation ont entamé en milieu de soirée une réunion pour retravailler le texte avant la publication de sa version finale, une rencontre qui pourrait être longue.

« Loin d’être à la hauteur »

Ce projet d’accord est « un cauchemar de propositions faibles et de contradictions internes », a jugé Tom Evans, conseiller politique au centre de réflexion E3G (Environnementalisme de troisième génération).

« D’une part, il demande de maintenir le seuil de 1,5 °C, et d’autre part, il n’établit aucune voie commune pour l’élimination progressive et rapide des combustibles fossiles, a-t-il détaillé. Ce n’est pas une réponse crédible à la crise que nous traversons. »

L’ébauche doit être « considérablement renforcée pour passer la barre de l’ambition », estime M. Evans, reconnaissant que ce ne sera pas chose facile.

Les 17 prochaines heures doivent voir les champions de l’ambition se mobiliser, et isoler ceux qui freinent l’ambition.

Tom Evans, conseiller politique au centre de réflexion E3G

L’ébauche d’accord publiée lundi « est loin d’être à la hauteur des besoins », a aussi regretté le Réseau action climat Canada (RAC), une coalition de 150 organisations écologistes, qui exhorte le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, à intervenir pour « plaider en faveur d’une ambition élevée » sur la question de l’abandon des énergies fossiles.

« Le ministre Guilbeault a déclaré qu’il avait été chargé d’aider à trouver un langage sur lequel tous les pays peuvent s’entendre, mais cela ne peut signifier se contenter du plus petit dénominateur commun », a déclaré la directrice générale du RAC, Caroline Brouillette.

« Qualifier la sortie des énergies fossiles avec des formules fourbes comme “sans dispositif d’atténuation” (unabated) légitimerait des distractions dangereuses comme le captage et le stockage du carbone et laisserait la porte ouverte à davantage d’expansion du pétrole, du gaz et du charbon », estime la coalition.

Le texte doit non seulement mener à un déclin « au cours de la présente décennie », ajoute la coalition, mais il doit aussi amener les pays développés à agir en premier et plus rapidement.

Avec l’Agence France-Presse

Un coup de force du président est possible, selon Guilbeault

Le président de la COP28 pourrait tenter d’imposer un accord malgré l’opposition de certains pays, croit le ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, qui rappelle que des précédents existent.

« En théorie, tout fonctionne par consensus, mais le consensus, ce n’est pas l’unanimité », a-t-il indiqué dans un court entretien avec La Presse, entre deux rencontres, lundi après-midi, à Dubaï.

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Steven Guilbeault

La forte opposition à un texte musclé sur la question des énergies fossiles de la part de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole n’est donc pas un obstacle insurmontable, selon le ministre Guilbeault, qui reconnaît toutefois qu’il peut s’agir d’un jeu dangereux.

« La présidence ne peut pas faire ça s’il y a 30 pays qui ne sont pas d’accord, dit-il. Mais si c’est juste quelques pays, l’Arabie saoudite et la Russie, et qu’il sent qu’il a beaucoup d’appuis, il va peut-être essayer d’y aller. »

Et les appuis à un texte fort sont justement nombreux, soutient le ministre.

« J’ai parlé à tellement de monde de tellement de régions différentes que je suis très, très confiant », dit-il.

Un précédent… montréalais

Steven Guilbeault rappelle l’esclandre fait par la République démocratique du Congo, qui s’opposait au projet d’accord lors de la dernière nuit de la COP15, l’an dernier à Montréal, qui n’avait pas empêché le président d’adopter le texte.

« Mais plus personne ne parle de ça, tout le monde parle du succès de la COP15 », lance-t-il.

Une situation similaire s’est aussi produite lors de la COP21, en 2015 à Paris, rappelle le ministre Guilbeault, soulignant que la chose est également tombée dans l’oubli aujourd’hui et que l’accord de Paris est devenu un moment charnière de la lutte contre les changements climatiques.

Le passage en force d’un accord ne risque-t-il pas de faire en sorte que les pays qui s’y opposaient ne s’y sentent pas liés ?


C’est possible, reconnaît le ministre Guilbeault, mais la conclusion de l’accord va tout de même envoyer un message fort au monde entier, dit-il, soulignant que personne ne remet en question l’accord de Paris ou l’Accord de Kuming-Montréal.