Au restaurant Deli Chenoy, où les quatre principaux candidats de la circonscription de Gatineau s'affrontaient jeudi dernier dans un débat télédiffusé par le réseau CTV, les partisans de la néo-démocrate Françoise Boivin étaient de loin les plus visibles. Ils occupaient les meilleures tables, brandissaient leurs affiches orange et disaient à qui voulait bien l'entendre que « Françoise, c'est un bon numéro ! »

À la table qui faisait face à la scène, il y avait Thérèse Cyr, ancienne libérale, Rubina Parent, de tendance plutôt bloquiste, et Cédric Tessier, néo-démocrate « de souche ». Tous unis derrière Françoise Boivin.

Des électeurs de toutes allégeances suivront-ils eux aussi l'ancienne députée libérale, qui a déménagé au NPD après avoir été brutalement écartée par l'establishment du PLC l'hiver dernier ? C'est le pari que fait le chef du NPD, Jack Layton, qui appuie de tout son poids sa nouvelle recrue. C'est à Gatineau qu'il a lancé sa campagne nationale au début du mois. Il y est retourné il y a une semaine faire du porte-à-porte avec Françoise Boivin - autant de signes de l'espoir que suscite la candidate.

Cet espoir est-il réaliste ? Avec l'effritement du vote libéral, le scrutin du 14 octobre pourrait donner lieu à une « percée néo-démocrate historique » au Québec, estime Peter Donolo, de la firme Strategic Counsel, selon qui la province pourrait envoyer deux ou trois nouveaux députés « orange » à Ottawa.

En plus d'Outremont, où le NPD veut faire réélire Thomas Mulcair, Gatineau est l'une des premières sur la liste des circonscriptions visées par les stratèges néo-démocrates.

Ils misent sur la notoriété de l'avocate de 47 ans, qui anime depuis 10 ans des émissions d'affaires publiques à la télévision et à la radio. Mais aussi sur la faiblesse des libéraux, dont le candidat, peu connu, a été nommé juste avant le déclenchement des élections.

Le favori dans cette course reste le bloquiste Richard Nadeau, dont l'élection, en 2006, avait causé la surprise dans « Gatineau-la-rouge ». « À Gatineau, la bataille se joue essentiellement entre le NPD et le Bloc », estime Christian Rouillard, professeur à la chaire de recherche du Canada en gouvernance et gestion publique de l'Université d'Ottawa.

Une femme de conviction

Figure connue dans la région, Françoise Boivin n'a pas peur de ses convictions. Durant son passage aux Communes, elle a voté à quelques reprises contre son propre parti, notamment sur la question du prix de l'essence, son grand sujet d'indignation.

Facile d'approche, elle désigne ses nouveaux compagnons de route par leur prénom et raconte comment l'ancien chef du NPD, Ed Broadbent, qu'elle appelle simplement Ed, lui a téléphoné pour la convaincre de se joindre à son parti.

C'est aussi une femme directe. « Sacrez-moi patience ! » lance-t-elle à ses collaborateurs qui la pressent de mettre un terme à notre entrevue.

Les transfuges prêtent flanc aux attaques, et Mme Boivin n'y échappe pas. « Sa principale préoccupation, c'est d'être à ma place ! » lui reproche son adversaire libéral Marcel Simard.

Le bloquiste Richard Nadeau se plaît à dire qu'il fait face à « trois enfants issus de la même famille libérale », dans laquelle il inclut le candidat conservateur Denis Tassé. Selon lui, ce sont tous des « libéraux fâchés » et il espère bien profiter de cette division du vote libéral pour se maintenir en poste.

En même temps, il reconnaît que sa réélection tiendrait de l'exploit. Car si le Bloc devait être élu une fois de plus dans cette ville de fonctionnaires tournée vers Ottawa, « ce serait comme la conquête de l'Égypte et de la Gaule, oubliez César ! » souligne-t-il.

Entre un candidat libéral desservi par sa nomination tardive, un bloquiste qui reconnaît lui-même que son élection a pu n'être qu'accidentelle et un conservateur dont le parti n'a jamais séduit dans ce coin de l'Outaouais, la nouvelle néo-démocrate pourrait-elle réussir à se faufiler ?

Si l'on se fie au sondage publié aujourd'hui dans nos pages, et qui donne une bonne avance au candidat bloquiste, la partie est loin d'être gagnée pour Mme Boivin.

Mais la campagne n'est pas terminée. Et la principale intéressée se réjouit du fait que l'on puisse même discuter de l'éventualité de son élection. « Quand j'ai laissé le Parti libéral, on m'a dit que je faisais une croix sur le pouvoir. Qui aurait imaginé, il y a quelques mois à peine, que l'on pourrait même envisager ma victoire ? »