Un voyage en Inde réalisé ce mois-ci par la directrice générale et le président de la commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier, dans la couronne nord de Montréal, sème la bisbille au sein du conseil des commissaires. Des commissaires soutiennent que le conseil n'a pas autorisé le voyage, mais la directrice générale affirme être habilitée à le faire.

«Ça n'a jamais été mentionné, tonne le commissaire Steve Bletas, qui a été président du conseil de 1998 à 2012 et qui sera candidat à la présidence aux élections scolaires du 2 novembre. Utiliser des fonds publics de cette façon sans même aviser le conseil n'est tout simplement pas la bonne chose à faire.» Il rappelle que la commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier vient de couper 300 000$ dans les services aux élèves en raison des compressions budgétaires imposées par le gouvernement.

Jointe par La Presse en Inde, la directrice générale Stephanie Vucko a plaidé que son voyage sera rentable pour la commission scolaire. Il coûtera environ 10 000$ et sera payé avec les revenus des élèves internationaux. «En ramenant un élève qui viendrait dans une de nos écoles secondaires, ça nous fait au minimum 14 000$ de revenus, a-t-elle dit. En principe, j'ai déjà un contrat en Inde pour 20 élèves. Faites le calcul.»

La polémique fait rage depuis le 7 août, quand les 19 commissaires de la commission scolaire anglophone Sir-Wilfrid-Laurier (qui couvre Laval, les Laurentides et Lanaudière) ont reçu un courriel de leur président, Nick Milas. Ce dernier les a avisés que la directrice générale de la commission scolaire et lui-même partaient en Inde trois jours plus tard (le 10 août) pour une semaine. Mme Vucko resterait en Inde quelques jours de plus avant de poursuivre son voyage en Chine pour une autre semaine.

Nick Milas a expliqué que ce voyage, auquel la commission scolaire montréalaise Lester-B.-Pearson participe également, vise à conclure des ententes afin de recruter des élèves étrangers. Lors de sa dernière rencontre, le 25 juin, le conseil des commissaires de Sir-Wilfrid-Laurier avait donné le mandat à la directrice générale de «collaborer» avec Lester-B.-Pearson et une firme spécialisée pour recruter des élèves étrangers (principalement dans les programmes de formation professionnelle) dans le but d'augmenter ses revenus.

Or, au moins 4 des 19 commissaires (Mike Pizzola, Steve Mitchell, Robert Dixon et Steve Bletas) soutiennent que les commissaires n'ont pas été avisés de ces voyages lors de la rencontre du conseil des commissaires du 25 juin. La résolution qui traite du mandat confié à la directrice générale, rendue publique sur internet, ne fait d'ailleurs pas mention de voyages.

Son collègue Mike Pizzola s'étonne de la liberté que les dirigeants de la commission scolaire semblent s'être donnée en allant en Inde et en Chine. «Avoir une entente ne veut pas dire que tu as carte blanche pour dépenser ce que tu veux», dit-il. Il s'étonne aussi que le président du conseil, dont le mandat est politique, ait participé au voyage.

Même incrédulité chez Steve Mitchell et Robert Dixon, qui entendent poser plusieurs questions lors de la prochaine rencontre du conseil, en septembre. Ils s'interrogent notamment sur la pertinence pour les dirigeants de la commission scolaire d'aller eux-mêmes en Inde et en Chine.

Abordé au caucus

La directrice générale, Stephanie Vucko, souligne qu'elle a l'appui du conseil pour développer le marché des élèves internationaux. «J'ai un mandat à remplir, et la façon dont je le remplis fait partie de mes délégations de pouvoirs, dit-elle. Lorsqu'il est question d'élèves internationaux, ça veut dire voyager pour avoir des contrats.»

Mme Vucko soutient que la question des voyages à l'étranger a été mentionnée plusieurs fois aux commissaires, notamment lors des caucus qui précèdent les rencontres du conseil. Comme ces rencontres ont lieu à huis clos, aucun procès-verbal n'est rendu public. «Tout a été discuté, sauf la date de départ», dit-elle. Joint par La Presse, le commissaire Steve Kmec a lui aussi affirmé que les commissaires ont été avisés des projets de voyage.

Selon Mme Vucko, il était nécessaire que les dirigeants de la commission scolaire soient présents lors des premières rencontres, surtout en Chine, où la formalité est de mise. Elle dit avoir elle-même invité le président du conseil à l'accompagner, à la demande du groupe en Inde, qui assumera entièrement les frais de voyage de ce dernier.

Comme d'autres commissaires, Steve Bletas n'était pas présent au caucus. Il déplore que la question des voyages à l'étranger ait été abordée lors de cette rencontre «non officielle». «Ce genre de décisions doivent être annoncées publiquement», conclut-il.

Au cabinet du ministre de l'Éducation, on a rappelé hier que «les règles de bonne gouvernance veulent que les commissaires soient informés d'un déplacement comme celui-là, notamment pour pouvoir discuter de sa pertinence et des coûts qui sont reliés».

Si les commissaires n'ont pas été avisés des voyages, «ce genre d'irrégularités ne fait que justifier davantage le fait que le rôle, le mandat et la gouvernance des commissions scolaires seront revus par la Commission de révision des programmes», a indiqué la directrice du cabinet, Marie-Ève Bédard.

À la commission scolaire Lester-B.-Pearson, dans l'ouest de Montréal, on précise que le directeur des études internationales participe au voyage et que le conseil des commissaires est au courant.



Élections en vue

Les prochaines élections scolaires auront lieu le 2 novembre, sept ans après les plus récentes. Au lieu d'être choisi par les commissaires, comme c'était le cas auparavant, le président du conseil des commissaires sera élu au suffrage universel. Le nombre de commissaires sera aussi réduit. À la commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier, on passera de 19 à 9 commissaires.

Délégation de pouvoirs

Dans une commission scolaire, c'est le conseil des commissaires qui détient l'autorité suprême en matière de dépenses, explique Patrice Garant, professeur émérite en droit public à l'Université Laval. Un conseil des commissaires peut toutefois adopter des règlements pour déléguer des pouvoirs au comité exécutif ou au directeur général. À la commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier, la politique de remboursement de dépenses précise que le directeur général doit faire autoriser ses dépenses par le président du conseil et le directeur des ressources financières.