Le taux d'obtention de diplôme à l'Université Concordia dégringole. En quelques années, il est passé de 75% à moins de 50%. La descente est rapide, une tendance que les programmes d'aide aux études ne semblent pas pouvoir ralentir.

Il y a cinq ans, pourtant, la situation était bien différente. La diplomation au premier cycle universitaire de l'établissement d'enseignement de langue anglaise se comparait à la moyenne québécoise. De même, l'écart la séparant des autres universités montréalaises était mince.

En 2007, 75% des étudiants qui avaient amorcé leur baccalauréat six ans plus tôt détenaient un diplôme. Pour cette même cohorte, à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), le taux de diplomation était de 70%. Avantage Concordia.

Aujourd'hui, toutefois, l'UQAM détient une longueur d'avance. En 2012, 68% des étudiants de la cohorte entrée à l'université en 2006 avaient obtenu leur diplôme, soit 20 points de pourcentage de plus qu'à Concordia (48%).

«Nous sommes préoccupés par cette situation. Nous voulons que nos étudiants aient une expérience enrichissante et qu'ils obtiennent leur diplôme à la fin de leur parcours. Toutefois, le portrait de nos cohortes au premier cycle a changé depuis quelques années», constate Catherine Bolton, vice-doyenne à l'enseignement de l'Université Concordia.

L'établissement d'enseignement compte maintenant dans ses rangs un nombre élevé d'étudiants étrangers pour qui la vie à Montréal est une première expérience internationale. Un nombre croissant d'étudiants choisissent aussi de compléter leur parcours à temps partiel. La conciliation études-travail pose un défi majeur.

«Les étudiants étrangers décident parfois de nous quitter parce que la vie loin de la famille est difficile. Ceux qui décident de diminuer leur nombre de cours pour travailler davantage ralentissent leur cheminement. Ça mène à un taux accru d'abandon», estime Mme Bolton.

L'université organise depuis quelques années la «Financial Literacy Week» afin d'établir un dialogue avec les étudiants sur la conciliation études-travail. De plus, les départements évaluent annuellement le dossier de leurs étudiants pour repérer ceux qui éprouvent des difficultés. Des mesures concrètes, dit l'université, mais qui ne renversent pas une tendance lourde. Le taux de diplomation reste à la baisse.

Cette tendance n'étonne guère le président de l'Association des professeurs de l'Université Concordia (APUC), Ted Stathopoulos, qui enseigne à l'université depuis près de 35 ans. Au fil des semestres, il a vu l'attitude de ses étudiants vis-à-vis de leurs cours se transformer. Aujourd'hui, dit-il, le travail à l'extérieur du campus revêt une importance capitale.

«Nos étudiants travaillent parfois jusqu'à 25 heures par semaine, mais désirent poursuivre leurs études sans opter pour un horaire allégé. Conserver leur statut d'étudiant à temps plein permet à certains de profiter de généreux programmes d'aide financière, ce qu'ils ne veulent pas perdre. Après un certain temps, certains font face à un mur. Ils doivent prendre une pause ou échouent à certains cours», explique M. Stathopoulos.

«Si les étudiants arrêtent leurs études un certain temps, cela ne veut toutefois pas dire qu'ils ne les termineront pas un jour. Parfois, certains arrivent, mais avec plusieurs années de retard, à terminer ce qu'ils ont entrepris», ajoute-t-il.

Ainsi, pour plusieurs d'entre eux, l'université ne serait donc plus leur seule priorité.

«Je pense que les étudiants ne choisissent plus de venir à l'université pour les mêmes raisons qu'avant. Maintenant, les jeunes ne voient plus l'éducation au premier cycle universitaire comme un tremplin vers la vie professionnelle, mais comme un espace pour approfondir leurs connaissances générales», analyse pour sa part la vice-doyenne à l'enseignement à Concordia.

Des défis similaires, un portrait différent

Cette conclusion, la vice-rectrice aux études et à la vie étudiante de l'UQAM, Diane L. Demers, la partage. Les études à temps partiel comportent leur lot de défis, et aujourd'hui, les étudiants n'ont pas que l'école en tête.

«Les besoins financiers des étudiants ont augmenté et se sont diversifiés. Ils veulent maintenir leurs activités sociales. On voit apparaître dans leur cheminement plusieurs activités qui sont plus importantes à leurs yeux que le temps consacré aux études», dit Mme Demers.

La vice-rectrice a aussi remarqué que le nombre d'affiches annonçant des voyages à l'étranger a augmenté ces dernières années. Selon elle, les étudiants ne consacrent pas plus d'heures au travail pour payer leurs études, mais pour se payer des extras.

Quand on se compare...

L'Université de Montréal et l'Université McGill affichent de bien meilleurs résultats que l'UQAM et Concordia. Pour la cohorte de 2006, 78% des étudiants de l'UdeM avaient obtenu leur diplôme six ans plus tard. À McGill, la proportion atteignait 84%.

«McGill et Montréal sont des universités qui ont des programmes de médecine et de génie. Déjà, pour être admis dans ces programmes, il faut un dossier scolaire de haut niveau. Bien que nous ayons aussi des programmes contingentés offrant des taux de diplomation élevés, Concordia et l'UQAM sont des universités généralistes. Certaines de nos classes sont une ouverture à la formation universitaire», note Mme Demers.

Comme à Concordia, l'université ne se fixe pas d'objectifs concrets en matière de diplomation. Le ministère de l'Enseignement supérieur, du reste, ne leur en demande pas.

Un expert estime la situation grave

Avec des droits de scolarité peu élevés, de nombreux programmes peu contingentés et un marché de l'emploi étudiant en bonne santé, les conditions qui favorisent une faible diplomation universitaire sont-elles réunies? Oui, estime Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal, qui s'intéresse à la scolarisation universitaire. Et la situation est grave.

Q Depuis cinq ans, le taux d'obtention de diplôme ne fait que dégringoler à l'Université Concordia. Ailleurs, la tendance est aussi à la baisse. Faut-il s'en inquiéter?

R Oui, c'est grave. Nous avons au Québec un problème de persévérance dans les universités, malgré la très grande accessibilité du système québécois. Les droits de scolarité sont faibles, presque nuls, et l'aide financière aux études est très généreuse. Vous avez donc un cocktail explosif qui devrait, en théorie, être une machine à former des universitaires. Or, ce n'est pas le cas. Beaucoup d'étudiants changent de programme ou ne terminent pas les études qu'ils entament. D'autres s'inscrivent dans n'importe quoi, simplement pour essayer, parce que les conditions financières et matérielles le permettent. Tout est mis en place, au Québec, pour favoriser un magasinage au premier cycle universitaire qui est coûteux en temps et en argent.

Q Pourtant, lorsqu'on analyse les données, on remarque que le taux d'obtention de diplôme varie énormément d'un programme à l'autre. Comment expliquer que certaines formations tirent la diplomation vers le bas?

R Les programmes contingentés offrent de meilleurs résultats, c'est normal. Dans des programmes comme l'histoire ou la philosophie, vous êtes admis dans la mesure où vous remplissez les exigences minimales. On ne parle pas de la même population étudiante ni du même niveau d'implication qu'ils mettent dans leurs études. Encore une fois, c'est notre système d'encadrement financier des études universitaires qui permet ça. Non seulement ça ne coûte rien, ou presque, mais les étudiants ont aussi accès à beaucoup d'aide financière. Ça favorise les études à temps partiel et les configurations d'horaire qui permettent à certains de maintenir un niveau de vie sociale très élevé. Ce mélange, souvent, mène à l'abandon ou à l'échec.

Q Y a-t-il un coût, pour la société, d'avoir un taux d'obtention de diplôme si faible dans certains programmes?

R Le coût n'est pas seulement pour la société, mais pour l'étudiant aussi. Le temps et l'argent qu'il consacre à ses études lui donneront de meilleures connaissances, c'est certain, mais s'il ne termine pas son diplôme et ne se dirige pas vers l'emploi, ce sont des ressources gaspillées. Le coût est d'abord pour l'individu, avant que pour la société. Ça ne coûte pas cher de former un étudiant en sciences sociales. Mais les années qu'il consacre à étudier, s'il abandonne, sont des années qu'il n'aura pas passées sur le marché du travail à gagner des revenus plus importants, dont il aurait été le principal bénéficiaire.

Q Alors, comment renverser les tendances et favoriser une plus grande diplomation dans tous les programmes?

R D'abord, il faut assumer que nous avons une quasi-gratuité des études universitaires, quoi qu'en disent mes amis étudiants. Il coûte plus cher de partir en voyage deux semaines à Cuba que de se payer un trimestre à l'université. Dans bien des pays où il y a la gratuité scolaire ou la quasi-gratuité, comme ici, c'est accompagné de mesures d'admission très strictes. Parce que les États ne sont pas fous: les universités ne sont pas des bars ouverts. En Europe du Nord, par exemple, les programmes de sciences sociales ou d'art sont aussi contingentés que l'école de médecine. Mais au Québec, on ne le fait pas parce que les universités ont de la place et, surtout, parce qu'un étudiant de plus équivaut à plus de subventions. Tout le monde n'est pas à sa place à l'université, et y accéder doit être une décision mûrie, qui se prépare. Le contrôle des admissions est une solution qui pourrait améliorer la diplomation.