Pour réussir à l'école, les enfants des quartiers défavorisés doivent surmonter plus de défis que les autres. La faim, le manque d'argent, l'isolement ou la violence font en sorte que l'école n'est pas toujours la priorité dans certaines familles. Les enfants sont alors plus vulnérables aux échecs et au décrochage scolaire. Le dynamisme d'une école contribue à faire une différence pour aider les élèves, mais surtout, leur insuffler l'étincelle nécessaire pour qu'ils aiment les études. C'est le cas de l'école primaire Champlain.

Malgré la fine couche de neige qui recouvre le sol, la moitié des enfants de l'école Champlain portent de petites chaussures. Certains n'ont pas de chaussettes. C'est la fin du mois et leurs parents n'ont pas les sous pour acheter des bottes d'hiver.

La cloche sonne. Une petite vêtue de rose entre en soufflant sur ses doigts, rougis par le froid. «Tu n'as pas de mitaines?», s'inquiète la directrice, Julie Simard.

Du coin de l'oeil, elle aperçoit un plus grand qui vient lui faire un câlin. Il flotte dans son manteau d'hiver trop grand où l'air passe allègrement. «Il va recevoir un bel habit de neige neuf. On a réussi à lui en dénicher un», se réjouit la directrice.

Elle voudrait aider tous ses élèves. L'école est située au coeur du quartier Centre-Sud, un secteur bétonné sans beaucoup de verdure, où l'horizon des jeunes se limite souvent au balcon de leur logement.

On y trouve beaucoup d'immigrés, surtout du Bangladesh et de l'Afrique. Des mères seules. Des parents qui peinent à joindre les deux bouts. Des familles bénéficiaires de l'aide sociale.

Il n'est pas rare de voir des familles de quatre, cinq, voire sept enfants. Ils partagent la même chambre, parfois le même lit. Les parents dorment au salon.

Dans le quartier, les déménagements sont nombreux. Logements trop chers, trop petits, infestés de punaises, mal isolés. Plusieurs familles ont quitté le secteur au fil des ans.

Au coeur de ce quartier, l'école Champlain se dresse comme un phare à l'angle des rues Logan et Parthenais. Il y règne une ambiance chaleureuse, accueillante. Les enfants ont le sourire. Leurs parents aussi.

Les liens sont tricotés serré et le personnel connaît les histoires familiales. Les enseignants ont eu dans leur classe les frères et soeurs de leurs élèves.

L'empathie est palpable. Il arrive que la direction paie discrètement le métro pour un élève qui doit se rendre d'urgence chez le dentiste. Beaucoup de familles n'ont pas de voiture. Même les transports en commun sont chers quand le budget est serré.

Empathie et compréhension

Les premières lueurs du jour percent à peine le ciel de Montréal. Sac au dos, encore mal réveillés, des élèves arrivent un à un au local du Club des petits-déjeuners. Ils sont accueillis chaleureusement par les bénévoles qui connaissent chacun d'eux par son prénom.

Une cinquantaine d'enfants déjeunent ici tous les matins. Certains n'ont pas soupé la veille. Il n'y avait rien dans le réfrigérateur ou personne pour préparer le repas.

Le midi, l'organisme communautaire La Relance distribue des repas pour 1$. Près de la moitié des enfants de l'école sont inscrits à cette mesure.

Les autres apportent leur lunch. Une fillette ouvre son thermos qui répand aussitôt des effluves appétissants. À côté, un garçon se contente de deux tranches de pain blanc tartinées de confiture aux fraises.

Selon les statistiques du Comité de gestion de la taxe scolaire de l'île de Montréal, qui verse des subventions aux écoles dans le besoin, l'école Champlain gagne la triste palme de l'école la plus défavorisée de la métropole.

Un calcul administratif qui blesse parfois les gens du quartier, fatigués d'être catalogués comme des «pauvres». Mais personne ne nie la réalité.

Avant d'enseigner des notions de français ou de mathématiques, les enseignants ont toujours à l'esprit le bien-être physique des enfants.

«Entre le 20 et le 1er de chaque mois, c'est généralement plus difficile. On n'intervient pas de la même façon quand un jeune a un problème de comportement. On va d'abord s'assurer qu'il n'a pas faim, qu'il n'a pas mal à la tête», explique Sylvie Harvey, technicienne en éducation spécialisée.

Parfois, certains se questionnent pour savoir si l'école en fait trop, en déchargeant les parents au passage. «Ce n'est pas la vraie vie. Oui, on peut aider les gens, mais il faut aussi les aider à s'en sortir. En leur donnant tout, ils restent dans leur milieu», constate Nathalie Perreault, qui enseigne en 1re année.

L'école traîne aussi une étiquette dont elle tente de se défaire. Centre-Sud a déjà été un quartier où la violence et la toxicomanie se voyaient dans les rues.

L'école est construite à proximité de l'ancienne prison Parthenais et d'un ancien repaire de motards. Dans la cour, les enseignants ont déjà séparé des parents qui se battaient.

La situation a bien changé. Il n'y a plus de bagarres à la récréation. Les élèves s'amusent plutôt avec des cerceaux et des ballons. Le moindre geste d'intimidation est vite repéré. Dans les couloirs, les élèves sont polis et souriants.

Cette bonne humeur généralisée se fait sentir jusqu'au salon du personnel. Le midi, la grande table est remplie et le local résonne de rires et de taquineries.

Dans cette joyeuse atmosphère, les parents s'y retrouvent aussi. Enfant, Karine Trudel a fréquenté l'école. Ses soeurs aussi. Son frère y est toujours. Elle ne souhaitait rien d'autre pour ses filles, en 4e année et en maternelle.

«Il y a un grand sentiment d'appartenance», dit-elle en louangeant le personnel et la directrice, ancienne enseignante de l'école.

D'un grand sourire, Julie Marisseau acquiesce. Cette mère de trois enfants, dont la plus jeune fréquente toujours l'école Champlain, s'est engagée comme bénévole pendant plusieurs années, notamment comme parent accompagnateur au karaté et pendant les sorties. «Pour nous, c'est carrément devenu une deuxième famille.»