Tous les experts consultés par La Presse se sont dits surpris de retrouver dans le jugement sur l'école Loyola le concept de «suprématie de Dieu». Un concept qui crée un certain malaise.

«I don't think God gives a damn whether he's in the Constitution or not» («Je crois que Dieu se fiche complètement d'être ou non dans la Constitution»), aurait déclaré le premier ministre Pierre Elliott Trudeau en 1982. Que cela Lui ait plu ou non, Dieu s'est finalement retrouvé dans le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

Ce fut la dernière modification apportée à la nouvelle Charte pour rallier des groupes conservateurs opposés au projet.

La Charte de 1982 commence donc par ce préambule: «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit.»

Dans les derniers paragraphes de son jugement, le juge Dugré parle de la suprématie de Dieu. Il écrit: «La société démocratique canadienne est fondée sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit, lesquels bénéficient de protection constitutionnelle. Ces deux principes fondateurs ont été mis à rude épreuve dans la présente affaire.»

Mention «inutile»

Ce n'est pas l'argument central du jugement, qui se fonde d'abord sur le droit administratif, puis sur le droit constitutionnel. Et, dans le volet constitutionnel, l'argument reste accessoire. Malgré tout, Henri Brun, professeur émérite à la faculté de droit de l'Université Laval, juge la mention «inutile». Son collègue de l'Université de Montréal, Me Frédéric Bérard, pense la même chose: «Le préambule ne doit pas être utilisé pour invalider une loi si une disposition de la Charte en traite déjà. Au mieux, il doit servir à étayer ou à préciser un argument.»

«En fait, plusieurs spécialistes soutiennent que cet élément du préambule ne doit même pas servir de principe interprétatif», ajoute Benoît Pelletier, professeur à l'Université d'Ottawa et ancien ministre des Affaires intergouvernementales du Québec.

Le constitutionnaliste Sébastien Lebel-Grenier estime que l'expression «suprématie de Dieu» est «vide de sens». «Les juges s'en servent très rarement», explique celui qui est aussi directeur du Groupe de recherche société, droit et religions de l'Université de Sherbrooke.

Si les juges s'en servent très rarement, c'est notamment parce qu'il contredit l'article 2a) de la Charte, qui garantit la liberté de religion et de conscience. «Il y a contradiction apparente entre la suprématie de Dieu et la liberté de conscience, qui inclut par exemple le droit d'être athée», soutient Benoît Pelletier.

Pas inquiétant

Même s'il estime «non nécessaire» la mention du préambule, son confrère Sébastien Grammond, doyen de la faculté de droit, section civile, de l'Université d'Ottawa, ne s'inquiète pas des conséquences qu'elle pourrait avoir: «Je ne crois pas que cela créera un précédent qui donnera de la force juridique au concept de la suprématie de Dieu.»

«Je pense que cet aspect du jugement ne sera pas retenu en appel, dit pour sa part Me Bérard. Sinon, ce serait dangereux. Toutes les libertés publiques de la Charte pourraient être interprétées à travers cette idée théiste. Quelqu'un pourrait remettre en question les droits des athées.»