Devant la quantité «ahurissante» de pétrole qui est désormais transportée par trains, le Bureau de la sécurité des transports du Canada recommande des normes plus rigoureuses pour tous les wagons-citernes DOT-111 - et le retrait dès que possible des anciens wagons encore en circulation.

Le BST prendra encore plusieurs mois avant de conclure son enquête sur la catastrophe ferroviaire qui a fait 47 morts à Lac-Mégantic en juillet dernier, mais il a formulé jeudi trois recommandations pour diminuer les risques qu'une telle tragédie se reproduise dans un avenir rapproché.

Il pointe d'abord du doigt, à titre de principale préoccupation, les fameux wagons DOT-111 qui formaient le convoi qui a pris feu dans la petite ville estrienne et qui ont pratiquement tous été endommagés lors de l'accident.

Des améliorations ont déjà été prévues par l'industrie et de nouvelles normes sont imposées par Ottawa pour les modèles les plus récents depuis le début du mois. Mais ce n'est pas suffisant, aux yeux du BST, qui souhaite que s'accélère la mise au rancart des vieux modèles. «Un retrait progressif prolongé des wagons plus anciens ne suffit tout simplement pas. Ceci laisse encore trop de risques dans le réseau», a déploré son administrateur en chef des opérations, Jean Laporte.

L'organisme réclame également des mesures de défense supplémentaires pour les nouveaux wagons, comme «des coques plus résistantes, des enveloppes extérieures, des boucliers protecteurs complets, une protection thermique et des dispositifs de décharge de pression de grande capacité», peut-on lire dans le rapport.

Et le temps presse, car le transport de pétrole brut par rail ne cesse de croître. Alors qu'environ un million de barils par jour de brut circulent chaque jour en Amérique du Nord à l'heure actuelle, ce chiffre devrait grimper à 4,5 millions dans les dix prochaines années.

«Le pétrole brut et ce genre de liquide inflammable ne devrait plus être transporté dans des wagons de catégorie 111. La période durant laquelle on devrait procéder à la suppression progressive est quelque chose que nous allons laisser aux régulateurs», a noté la présidente du BST, Wendy Tadros, avant d'ajouter que le plus tôt serait le mieux.

L'une des options envisageables serait de créer carrément une nouvelle catégorie de wagon. Mais l'ampleur du changement s'annonce titanesque, alors qu'on dénombre pas moins de 228 000 wagons-citernes de catégorie 111 en service en Amérique du Nord à l'heure actuelle-.

Le BST rappelle avoir signalé leur vulnérabilité depuis 20 ans.

Autres recommandations

L'organisme indépendant estime par ailleurs que les itinéraires devraient être mieux choisis par les compagnies ferroviaires qui transportent du pétrole et des matières dangereuses. Les entreprises devraient envisager prendre les trajets qui présentent le moins de risques, loin si possible des milieux urbains et des zones sensibles au plan écologique. Cette mesure pourrait être mise en oeuvre à court terme.

Il recommande enfin des plans d'intervention d'urgence (PUI) pour le transport de grandes quantités d'hydrocarbures liquides. De tels plans, réclamés d'ailleurs par la Fédération canadienne des municipalités, assureraient que les premiers répondants aient accès aux ressources nécessaires pour faire face au danger lors d'un accident.

Ainsi, il a fallu 30 000 litres de concentré de mousse pour venir à bout de l'incendie à Lac-Mégantic, mousse qui a pu être livrée par chance en quelques heures par une raffinerie de Lévis la nuit de l'accident. Un tel coup de pouce ne serait peut-être pas possible dans d'autres circonstances, note-t-on au BST, d'où l'importance d'un plan d'urgence afin d'éviter de «s'en remettre au hasard». Un groupe de travail à Transports Canada étudie déjà la possibilité d'étendre les PUI au pétrole brut.

Devoir d'agir

La ministre des Transports, Lisa Raitt, a réagi aux recommandations par communiqué, en assurant que la santé et la sécurité des Canadiens demeuraient la priorité du gouvernement.

«Des représentants du ministère sont en train d'examiner les recommandations du Bureau de la sécurité des transports. Le ministère est déterminé à tout faire ce qui est en son pouvoir pour maintenir et même renforcer la sécurité du secteur ferroviaire au Canada», a-t-elle assuré.

Mais de l'avis de M. Laporte, le gouvernement serait bien mal placé pour ignorer de telles recommandations. «Ils ont les pouvoirs. L'opinion publique est là. Et aujourd'hui, ce que nous, on communique, c'est que nous avons les analyses scientifiques à l'appui, nous avons les données concrètes pour appuyer ces recommandations-là. Donc il n'y a aucune raison de ne pas procéder à aller de l'avant», a-t-il tranché.

Les partis d'opposition s'entendent d'ailleurs tous sur le fait que la ministre Raitt doit agir de toute urgence.

«La ministre des Transports, de notre point de vue, doit immédiatement ébaucher de nouvelles normes améliorées pour les wagons qui transportent des liquides inflammables et s'assurer que ces normes s'appliquent à la flotte existante», a insisté le porte-parole libéral en matière de transport, David McGuinty.

Au Nouveau Parti démocratique (NPD), on croit que la ministre devrait fixer une date butoir pour le retrait des vieux wagons inadéquats. «Si nous n'imposons pas de date limite, s'il n'y pas d'échéancier pour l'élimination progressive, alors l'industrie n'agira pas», a soutenu sa porte-parole, Olivia Chow.

Le Bloc québécois estime pour sa part qu'Ottawa devrait envisager l'imposition de pénalités aux compagnies récalcitrantes.

Fait à noter: les recommandations du BST ont été émises simultanément à  celles de son pendant américain, le National Transportation Safety Board. Le gouvernement fédéral a 90 jours pour répondre officiellement aux recommandations de l'organisme.