Une armée d'avocats fourbit ses armes pour tenter d'obtenir des millions de dollars en dédommagement pour les Méganticois ayant perdu un membre de leur famille, leur maison, leur entreprise, leur travail ou leur sérénité dans l'explosion du train de la société Montreal, Maine&Atlantic (MMA). Tous ne s'entendent pas sur la stratégie à adopter, mais ils sont d'accord sur un point: la bataille sera longue.

Les tribunaux d'ici et des États-Unis en ont pour des années à entendre parler de ce qui s'est passé à Lac-Mégantic dans la nuit du 5 au 6 juillet. Des avocats américains, alliés à des collègues de la région du lac Mégantic, jouent du coude pour convaincre les sinistrés de leur confier les rênes de la bataille judiciaire qui s'amorce. Deux stratégies s'affrontent: des poursuites individuelles devant les tribunaux américains, ou un recours collectif déposé au Québec. Les juristes des gouvernements évaluent également les options possibles pour se faire rembourser les coûts du nettoyage, de la reconstruction et de l'aide apportée à la population.

Peu importe la tactique utilisée, identifier les responsables de la catastrophe et les faire payer ne sera pas une mince affaire. La MMA est au bord de la faillite, mais quelle est la responsabilité de sa société mère, Rail World? Et ses dirigeants, peuvent-ils être tenus responsables personnellement? Les avocats montrent aussi du doigt le Canadien Pacifique (CP), qui a confié le transport du pétrole à MMA en sous-traitance, et les sociétés pétrolières, comme World Fuel, propriétaires du brut qui a pris feu et s'est déversé dans la nature. «Mais je crois que ça sera très difficile de démontrer que les entreprises pétrolières doivent payer pour les conséquences de l'accident», souligne le professeur Daniel Gardner, spécialiste en responsabilité civile de l'Université Laval.

Les arguments se ressemblent dans les différentes poursuites: les juristes veulent démontrer que Rail World contrôlait toutes les décisions concernant MMA, que l'entreprise négligeait la sécurité sur ses chemins de fer, que le type de pétrole transporté était particulièrement dangereux et que les wagons utilisés n'étaient pas adéquats.

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Cabinets d'avocats: la guerre des stratégies

Recours collectif ou poursuites individuelles? Tribunaux québécois ou américains? Chaque groupe d'avocats tente de défendre son approche, pour obtenir justice au nom des victimes de la tragédie de Lac-Mégantic.

Les tenants du recours collectif soutiennent que c'est au Québec que cette cause doit être plaidée. Puisque l'accident s'est produit ici et que les victimes sont québécoises, les requêtes déposées aux États-Unis sont vouées à l'échec, selon Me Jeff Orenstein, qui pilote le recours. «De plus, un juge québécois sera plus sensible à la cause qu'un jury américain», avance-t-il.

Cette façon de procéder est également la moins coûteuse pour les plaignants, ajoute-t-il.

L'inconvénient du recours collectif, selon le professeur Daniel Gardner, spécialiste en responsabilité civile de l'Université Laval, c'est que les victimes n'ont aucun contrôle sur le processus. «Par exemple, les avocats pourraient décider de régler hors cours, ou de favoriser les enfants des disparus», note-t-il.

Deux groupes d'avocats sont plutôt partisans des poursuites devant la justice américaine. «Les familles des victimes ont de meilleures chances d'obtenir des montants importants aux États-Unis, explique Me Hans Mercier. On demande aussi un procès devant jury, parce que des gens ordinaires risquent d'être plus sensibles à la souffrance des victimes.»

Me Mercier et ses collaborateurs américains ont ouvert un bureau à Lac-Mégantic pour offrir leurs services aux sinistrés. «On ne peut pas solliciter les victimes, pour des raisons déontologiques, mais on fait de la publicité pour expliquer comment on peut les aider», dit-il.

Compétition entre avocats

Me Gloriane Blais, de Lac-Mégantic, offre aussi le support d'avocats américains à ceux qui veulent entreprendre des recours au sud de la frontière. «Il y a une certaine concurrence avec l'autre groupe d'avocats, mais les gens vont choisir en fonction de leurs critères, de l'approche qu'ils recherchent», dit-elle, soulignant qu'elle est bien connue dans la communauté, où elle a son bureau depuis 10 ans.

Il est fréquent que des bureaux d'avocats décident de joindre leurs forces, pour partager les coûts des expertises et s'entendre sur une stratégie commune. «Peut-être que c'est ce qu'on fera dans ce cas-ci», mentionne Me Mitchell Toups, collaborateur texan de Me Blais.

Hans Mercier ne semble toutefois pas du même avis. «L'autre groupe d'avocats semble faire cavalier seul, leur approche est plutôt compétitive», note-t-il.

Mais la grande question, en fin de compte, c'est de savoir si toutes ces démarches peuvent donner des résultats pour les victimes. «Comme MMA n'a pas assez d'argent, nous voulons poursuivre toutes les entreprises concernées, mais nous ne savons pas quel est leur degré de responsabilité», souligne Me Toups.

Selon Daniel Gardner, peu importe l'approche, les victimes risquent de ne rien toucher du tout. «Selon moi, il faudrait plutôt faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il les indemnise, dit-il. Et ensuite, s'il pense qu'il peut se faire rembourser par les entreprises, qu'il s'occupe lui-même de les poursuivre.»