Quand il a tué et démembré Lin Jun, le 25 mai 2012, Luka Rocco Magnotta se sentait contrôlé par quelque chose, qui lui procurait une puissante énergie. Il avait peur, et il y avait ces voix dans sa tête qui riaient et répétaient: c'est un agent du gouvernement, fais-le, poignarde-le, coupe-le...

C'est ce que Luka Rocco Magnotta a confié à la psychiatre Marie-Frédérique Allard, en 2014, dans le cadre de leurs rencontres visant à évaluer sa responsabilité criminelle pour le meurtre de Lin Jun et autres crimes qui y sont rattachés. Au terme de cette évaluation demandée par la défense, et qui s'est échelonnée sur plusieurs mois, la psychiatre a produit un rapport en juillet dernier. Le document de 127 pages a été remis jeudi au jury. Voici un bref survol de ce rapport, qui constitue la trame du témoignage que la Dre Allard livre ces jours-ci devant les jurés chargés de juger Magnotta.

Non responsable



La psychiatre a conclu que M. Magnotta remplit les conditions de non-responsabilité criminelle, en raison de la maladie mentale qui l'affectait en mai 2012. Souffrant de schizophrénie paranoïde depuis longtemps, il était en pleine psychose au moment où il a commis les crimes qui lui sont reprochés. La psychiatre affirme que Magnotta savait ce qu'il faisait, mais qu'il ne pouvait distinguer le bien du mal.

Historique de schizophrénie



Originaire de l'Ontario, M. Magnotta est l'aîné d'une famille de trois enfants. Son père est schizophrène et sa mère, Anna Yourkin, avait une peur maladive des microbes. À un point tel qu'elle n'envoyait pas ses enfants à l'école, leur faisant la classe à la maison. Magnotta n'a été inscrit à l'école publique qu'à l'âge de 10 ans. Frêle et efféminé, il était la cible de moqueries et n'avait pas d'amis.

Magnotta a commencé à entendre des voix vers la fin de l'adolescence. Elles le dénigraient, lui disaient qu'il était laid, stupide... Il a été hospitalisé plusieurs fois pour troubles psychiatriques et est demeuré pendant un certain temps, en 2001, dans une ressource pour schizophrènes. Il était considéré comme inapte au travail et recevait de l'aide sociale bonifiée pour cette raison: environ 900$ par mois.

Sexe et vedettes



Dans sa jeune vingtaine, Magnotta a commencé à travailler dans l'industrie du sexe. D'abord comme danseur nu, puis comme escorte. Il a aussi joué dans quelques films pornos homosexuels. Les voix se manifestaient encore, il avait peur. Il déménageait souvent et changeait de numéro de téléphone. Il a voyagé à différents endroits dans le monde, parfois avec des clients. À un certain moment, il s'est rendu voir la tombe de Marilyn Monroe, avec qui il avait une «relation spéciale, et qui lui parle parfois», et devant son étoile sur la Promenade des célébrités, à Hollywood.

Magnotta s'est aussi identifié à Michael Jackson et voue un culte à Sharon Stone, notamment dans le film Basic Instinct, qu'il a vu souvent.

Magnotta s'est souvent senti épié, suivi et menacé. Il a fait de nombreuses plaintes à la police. En février 2011, il est venu s'établir à Montréal pour fuir Toronto. Il a changé trois fois d'appartement en un an. Au printemps 2012, il a emménagé dans un meublé d'une pièce et demie, au 5720, boulevard Décarie. Il n'allait pas bien, dit-il. Il avait plusieurs comptes Facebook, avec des alias. «J'étais mon pire ennemi», dira-t-il.

Par le truchement d'un site de rencontres gai, il a commencé à correspondre avec un Français, Chris. Magnotta projetait d'aller s'établir en France, peut-être même avec cet homme, pour commencer une nouvelle vie. Il prévoyait partir le 1er juin.

Rencontre avec Lin Jun



En mai 2012, Magnotta a placé une annonce sur Craigslist, spécifiant qu'il voulait une activité sexuelle impliquant le bondage. Lin Jun a répondu. Ils se sont donné rendez-vous au métro Snowdon, puis sont allés chez Magnotta. C'était le jeudi soir, 24 mai.

Sur place, ils ont discuté. Lin Jun a bu du vin, puis ils ont eu une relation sexuelle. Magnotta a été attaché en premier. Il dit que Lin Jun s'est montré rude pendant l'acte sexuel et qu'il ne voulait pas ralentir ou arrêter, comme il le demandait. Lin Jun lui frappait l'arrière de la tête, «pour le faire rétrécir».

Magnotta est devenu anxieux. Il a pris du Temazepam, un somnifère, et Lin Jun en a voulu aussi. Magnotta s'est ensuite rendu à la fenêtre. Il a vu une voiture noire, ce qui lui a fait penser que cet amant était un agent du gouvernement.

Ensuite, ce fut au tour de Lin Jun d'être attaché. Les voix résonnaient dans la tête de Magnotta comme une radio, disant que Lin Jun était là pour lui faire du mal.

La mort



Lin Jun était ligoté sur le lit. Magnotta lui a d'abord tranché la gorge.

Puis il a coupé la tête et les membres, toujours sous l'impulsion de cette force et des voix. Elles disaient maintenant «retourne-le d'où il vient». Il a donc pensé à retourner le corps au gouvernement.

Il a mis la tête de Lin Jun dans le réfrigérateur, car il croyait qu'elle lui envoyait des messages. Il a fait la même chose avec les mains, de crainte qu'elles lui transmettent des microbes.

Il a noyé le chiot qu'il avait acheté peu de temps auparavant.

Il a acheté une valise pour mettre le tronc. Puis il s'est rendu compte que c'était «trop gros pour l'envoyer au gouvernement».

Il a plutôt posté les pieds et les mains, après les avoir emballés dans du papier cadeau et des boîtes achetées exprès au bureau de poste. Il a trouvé les adresses sur l'internet. Il a envoyé un pied au Parti conservateur, une main au Parti libéral. Il a fait la même chose avec deux écoles de Vancouver. Il ignore pourquoi. Peut-être parce qu'avec Lin Jun, ils avaient parlé de Vancouver, dit-il.

Il a vidé son appartement et tout jeté aux ordures, incluant la valise contenant le torse et les sacs contenant les membres.

Il a apporté la tête de Lin Jun au parc Angrignon et a commencé à faire une petite cérémonie funéraire pour que son âme repose en paix. Mais il a dû arrêter parce que des gens arrivaient.

Il pense qu'il est resté 36 heures sans dormir, entre le 24 et le 26 au soir, moment de son départ pour la France. Il croit qu'il ne s'est pas lavé, mais pense avoir mangé une pizza. Une facture trouvée dans les ordures le prouve.

S'il a tourné une vidéo du démembrement et l'a mise en ligne par la suite, ce n'était pas pour choquer la population, dit-il. C'était pour faire taire les voix, et faire peur au gouvernement. «Pour qu'ils sortent de sa vie.»

Il ne peut expliquer pourquoi il a appelé la vidéo 1Lunatic, 1ice-pik. Cela lui est venu spontanément, dit-il. Et il affirme ne pas avoir copié consciemment le film Basic Instinct dans cette vidéo.

Pas de sadisme sexuel



La psychiatre Allard n'a pas trouvé d'évidence de «sadisme sexuel» chez Magnotta. «Il n'est pas excité sexuellement ou par la souffrance physique ou psychologique d'une autre personne. Il a déjà eu des activités sexuelles impliquant le masochisme, mais il ne remplit pas tous les critères pour poser ce diagnostic.»

Le procès se poursuit lundi, avec la suite de l'interrogatoire de la Dre Allard. On est actuellement dans la preuve présentée par la défense. M. Magnotta admet avoir commis les actes reprochés, mais présente une défense de maladie mentale. Il reviendra au jury de trancher.