Deux semaines après avoir révélé à la télévision de Radio-Canada que le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, lui avait offert une enveloppe d'argent comptant en 1993, le député du Bloc québécois Serge Ménard a défendu, hier, les raisons pour lesquelles il a gardé le silence pendant 17 ans.

«Je suis convaincu qu'il n'y a pas eu de crime, a expliqué M. Ménard devant le comité de l'éthique de la Chambre des communes. Je n'étais pas élu et il ne me demandait rien en retour.»

Sous la pression de députés conservateurs du Québec, qui considèrent comme une «erreur de jugement» le fait qu'il n'ait jamais dénoncé le geste de M. Vaillancourt, M. Ménard a accepté de comparaître de son plein gré devant ses collègues parlementaires pour donner encore une fois sa version des faits.

«Je pense encore que c'était la meilleure façon d'agir, a-t-il déclaré. Je n'avais aucune preuve indépendante. Dès le moment de l'événement, j'ai compris que ce serait ma parole contre la sienne et qu'il n'y aurait pas d'accusation.»

Député de Marc-Aurèle-Fortin, à Laval, et ancien ministre de la Sécurité publique du Québec, M. Ménard a de nouveau raconté que, alors qu'il était candidat du Parti québécois à une élection partielle, en décembre 1993, il était allé rencontrer le maire Vaillancourt à son bureau. Ce dernier lui aurait alors proposé une enveloppe contenant 10 000$ en billets de banque. Si le candidat avait accepté, il aurait contrevenu à la Loi électorale, qui prévoit qu'une contribution à une formation politique doit se faire par chèque et ne doit pas dépasser 3000$.

Or, a expliqué M. Ménard au comité, si le Code criminel, au fédéral, prévoit que la tentative de commettre un crime constitue en soi une infraction, ce n'est pas le cas de la loi provinciale. Ainsi, le député juge qu'il ne s'agissait pas d'une tentative de corruption.

«En refusant l'argent, il n'y avait pas d'infraction, a plaidé M. Ménard, criminaliste de formation. La police n'est pas là pour donner des certificats de bonne conduite.»

Complice?

Les conservateurs qui avaient réclamé la comparution du député bloquiste ont tenté, en vain, de faire admettre à M. Ménard que son silence était répréhensible. «N'êtes-vous pas complice d'un cancer qui ronge la société québécoise: la corruption?» a lancé le député Steven Blaney.

M. Blaney a reproché à M. Ménard d'avoir, dans le cadre de ses fonctions ministérielles, vanté la compétence de M. Vaillancourt dans des lettres.

«M. Vaillancourt est un maire extrêmement compétent. Une enveloppe brune, ça n'a rien à voir avec la compétence, a rétorqué M. Ménard. Nulle part dans les lettres je parle de son honnêteté.»

Le député libéral Denis Coderre a jugé tout l'exercice «indécent», voire peu utile, et estime que M. Ménard a été très transparent dans ses réponses. Le député du NPD Bill Siskay a quant à lui refusé de poser des questions à son collègue du Bloc québécois, affirmant n'avoir que du respect pour ce parlementaire d'expérience.

À sa sortie de l'audience, Steven Blaney a réitéré qu'il considérait comme «très troublantes» les allégations de M. Ménard et les circonstances de ses révélations.

«Il y a présentement au Québec beaucoup de scandales, beaucoup d'allégations. Je pense que les gens en ont ras le bol. Quand allons-nous mettre fin à la loi du silence?» a dit M. Blaney.

Après les déclarations de M. Ménard, à la mi-novembre, le maire Vaillancourt l'a mis en demeure de se rétracter, ce que le député a refusé de faire encore hier.

M. Ménard a conclu son témoignage en laissant entendre que le traitement qu'il a subi de la part de ses collègues conservateurs est le genre de chose qui pourrait décourager bien des gens de dénoncer des agissements qu'il considère comme «très graves», bien que non «illégaux».