Bien qu'elle soit habituée aux feux des projecteurs, la juge France Charbonneau se fait discrète et refuse toute entrevue depuis sa nomination à la tête de la commission d'enquête sur la collusion dans l'industrie de la construction. Ses confrères brossent pourtant le portrait d'une femme compétente et chaleureuse, qui a souvent osé prendre des risques, en amour comme à la guerre.

Une romantique capable d'écouter son coeur aux dépens des tabous. Une battante abonnée aux missions impossibles. Une mère couveuse. Et une femme joyeuse, qui ne s'en laisse pas imposer.

Chacun à sa façon, les anciens collègues et adversaires de la juge France Charbonneau décrivent une femme intense et entière, en amour comme à la guerre.

Aujourd'hui âgée de 60 ans, l'ancienne procureure a déjà flirté avec la notoriété, il y a neuf ans, lorsqu'elle a fait condamner le chef des Hells Angels à la prison à vie pour le meurtre de deux gardiens de prison. Maurice Boucher avait pourtant été acquitté lors d'un premier procès.

Quand l'avocate a convaincu la Cour d'appel d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience, l'émotion l'a littéralement étranglée. «Une quinzaine de collègues étaient en réunion. Elle est entrée pour leur annoncer la nouvelle. Elle dansait pratiquement sur place, mais aucun son ne sortait», raconte un témoin de la scène.

«C'est quelqu'un de bouillant, qui vivait ses causes, qui les prenaient vraiment à coeur», explique une autre collègue.

À preuve, pour remporter le deuxième procès Boucher, Mme Charbonneau a travaillé de 6h à 23h pendant au moins 18 mois, sans prendre de vacances.

Dans le milieu judiciaire, la procureure avait déjà fait jaser en tombant amoureuse d'un juré, qu'elle a fréquenté au terme du procès. Un coup de foudre très inhabituel, qui a mis plusieurs confrères mal à l'aise. «C'est la preuve de son grand romantisme», a souligné une source.

L'idylle date d'il y a de nombreuses années. Depuis, la juge Charbonneau forme un couple avec un autre juge, Benoît Emery, dont le père était avocat dans un grand cabinet. Leur fille unique (qui ne nous a pas rappelée) suit leurs traces comme avocate.

Débuts comme secrétaire juridique

Enfant, Mme Charbonneau grandit à Montréal avec sa soeur aînée, sa mère et son père, employé au Canadien Pacifique. À en croire des confidences recueillies par Nathalie Petrowski en 2002, ce dernier doute de ses capacités scolaires et lui conseille d'abandonner le cours classique pour étudier le secrétariat - ce qu'elle fait et déteste.

Elle suit donc des cours du soir au cégep tout en travaillant comme secrétaire juridique, y prend goût et décide de s'inscrire en droit à l'Université de Montréal.

À l'école du Barreau, en 1978, elle laisse un souvenir impérissable au criminaliste Jean-Claude Hébert: «Elle était toujours assise au premier rang, le bras en l'air pour poser des questions. Elle était faite pour le droit criminel.»

De fait, la jeune femme de 27 ans fait un stage à l'aide juridique et est vite engagée comme procureure. Elle passe 26 ans à la Couronne provinciale, conseille l'escouade Carcajou (chargée d'enquêter sur les gangs de motards), donne des cours au Barreau, à l'École nationale de police et dans deux universités. En 2004, elle devient juge à la Cour supérieure.

Côtoyer les meurtriers et psychopathes ne l'abat pas. Après le procès Boucher, elle déclare à La Presse: «Je me considère avant tout comme une femme libre. La peur, c'est dans la tête et moi, je ne connais pas ça. Et puis, je crois sincèrement qu'il y a en haut quelqu'un qui me protège. Je ne suis pas une Jesus freak, mais je suis croyante. Et je me sens protégée.»

Certains adversaires la trouvent trop dure à l'égard de la défense. Son ancien collègue Claude Chartrand (qui a quitté le Bureau de lutte au crime organisé pour le syndic du Barreau du Québec) n'est pas du même avis: «Elle a un grand sens de la justice. Comme juge, s'il le faut, elle va s'assurer que les droits de l'accusé sont protégés. Elle est perfectionniste.»

«C'est une personne passionnée, mais qui reste d'une grande honnêteté intellectuelle. Comme avocate, elle plaidait sur les faits sans les dénaturer devant les jurés», renchérit l'avocat de la défense Robert La Haye.

Une autre criminaliste, Christiane Filteau, évoque pour sa part une femme pragmatique, qui savait aller à l'essentiel et ranger ses gants de boxe en temps et lieu. «C'est une personne saine qui sait se distancer du problème», dit-elle.

Lorsque Me Filteau a représenté des motards accusés d'avoir voulu assassiner Maurice Mom Boucher, elle est restée marquée par le sens de l'humour de France Charbonneau, qui représentait la Couronne à l'enquête préliminaire et n'avait pas encore fait condamner le célèbre Hells Angel. «Boucher est arrivé avec son éternel sourire en disant: «Bonjour, Mme Charbonneau, je suis votre victime», se souvient l'avocate. France a trouvé ça rigolo. Elle n'était pas du genre à dire: Ne m'approchez pas!»

Une ouverture qui n'empêchait pas la procureure de remettre les gens à leur place. Un jour, Boucher aurait marmonné en cour qu'elle n'était pas son genre. Mme Charbonneau lui aurait répliqué: «Ça tombe bien, vous n'êtes pas mon genre non plus!»

Avec Jacques Larochelle, qui défendait le motard, sa relation s'est révélée carrément houleuse. Elle tapait du poing sur la table pour s'opposer à ses déclarations. L'avocat lui aurait lancé: «Ça, ce n'est pas une objection, c'est une crise d'hystérie», rapporte une avocate, qui parle elle-même d'une femme «bouillante et enflammée».

«Elle a le sens de la répartie et ceux qui l'affrontent trouvent chaussure à leur pied», nuance son ancien collègue Claude Chartrand.

Un côté très humain

Il y aura bientôt deux ans, le hasard a voulu que l'avocat de la défense Gary Martin voie la juge Charbonneau autoriser des psychiatres à traiter une ancienne employée du palais de justice contre son gré.

«La dame était âgée, raconte-t-il. Elle me criait: «Ne les laissez pas m'imposer des injections!» L'huissière pleurait, le greffier était aussi au bord des larmes. J'étais outré qu'on puisse imposer ça en 2009. Mais après avoir rendu sa décision, Mme Charbonneau a fait venir toutes les parties et tout le personnel dans son bureau. Elle n'a pas à justifier ses jugements, mais elle voulait que tout le monde puisse ventiler et bien comprendre. C'était très humain.»

Depuis mercredi, plusieurs avocats et policiers se désolent de perdre la possibilité de plaider devant une juge respectée, «qui connaît son droit». D'autres ne comprennent pas qu'elle puisse s'associer à une commission qui a été critiquée toute la semaine.

Est-ce par orgueil? s'interrogent ceux qu'elle a irrités en se vantant d'avoir gagné toutes ses causes de meurtre sauf une. Ou par idéalisme? «J'ai pris la cause contre Boucher pour aider la société, a-t-elle en tout cas déclaré à La Presse après ce procès. Je ne pouvais supporter de voir cette guerre qui dégénérait de plus en plus en faisant d'innocentes victimes. Je ne voulais pas que Montréal devienne la Colombie.»

Chose certaine, Mme Charbonneau est consciencieuse. Il y a quatre jours, la veille de sa nomination comme commissaire, elle a prononcé la peine de Julien Labrie, ce jeune homme qui a tué un sans-abri. Une laryngite l'a empêchée de lire son jugement. Mais comme jadis - lorsqu'elle n'arrivait pas à informer ses collègues de sa victoire contre Boucher -, même muette, elle voulait faire entendre sa voix.

- Avec la collaboration de Caroline Touzin

La commissaire en huit questions

Après avoir fait condamner Maurice Mom Boucher, France Charbonneau s'estlivrée à notre collègue Nathalie Petrowski. Voici comment se décrivait alors la nouvelle commissaire, qui a refusé les entrevues depuis sa nomination à la tête de la commission d'enquête.

SI VOUS ÉTIEZ...

Un meuble

Un chevalet pour faire de la peinture, mon hobby préféré. (Elle disait aussi faire du jardinage et se passionner pour le marché immobilier.)

Un personnage de BD

Milou, le chien de Tintin. Parce qu'il est sympathique et utile.

Un animal

Un chat pour son indépendance et sa fidélité et un éléphant pour sa force et sa splendeur.

Une chanson

Les vieux de Jacques Brel. Elle me fait penser à ma mère. Chaque fois que je l'entends, je pleure.

Un film

Les uns et les autres de Claude Lelouch.

Un événement de l'histoire

La paix et la fin de la terreur, qui restent à faire.

Un remède

Le secret de la longévité.

Une drogue

L'amour.