Des étudiants qui menacent de reprendre la rue, des recteurs en furie, un ministre qui doute du sous-financement des universités, la table est mise pour le sommet de tous les dangers en février à Montréal.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que les augures sont fort mauvais pour le Sommet sur l'enseignement supérieur qui devait pourtant être la grande rencontre de la réconciliation promise par le Parti québécois après les turbulences du «printemps érable».

Le gouvernement péquiste a eu droit à un sursis après avoir acheté la paix avec la faction étudiante la plus modérée, mais les coupes massives qu'il vient d'imposer au réseau universitaire compromettent les chances de réussite du sommet annoncé lors de la dernière campagne électorale.

Les recteurs ont appris avec stupéfaction, lors d'une rencontre confidentielle avec le ministre de l'Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, plus tôt en décembre, qu'ils devront comprimer des dépenses de 124 millions $ à quatre mois de la fin de l'exercice financier, le 30 avril.

Une opération impossible, ont clamé les recteurs qui préparent la riposte. Ils accusent le ministre de les avoir placés dans une situation intenable. Le couperet, ont-ils fait valoir à l'unisson, aura un effet direct sur la qualité des universités.

Il est peu probable que le réseau universitaire parvienne à réaliser ce coup de faucille en plein exercice financier, considérant que 80 pour des budgets des universités sont consacrés à la masse salariale conventionnée.

En dépit de cela, le ministre Duchesne a répliqué que tous devaient «faire leur part» de l'effort budgétaire, y compris les universités, dont le sous-financement - évalué à plus de 600 millions $ par les recteurs et les principaux - reste à prouver, selon lui.

Le titulaire de l'Enseignement supérieur demande en effet «à être convaincu» de la réalité du sous-financement universitaire, adoptant en cela le scepticisme affiché par les leaders étudiants pendant la crise des droits de scolarité.

Si tous doivent faire leur part, quelle sera celle des étudiants? Jusqu'ici, ces derniers ont obtenu une oreille extraordinairement attentive de la part du ministre «carré rouge», le sobriquet employé par l'opposition libérale pour décrire les penchants de M. Duchesne.

Non seulement le Parti québécois au pouvoir a annulé la hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement précédent, mais il a maintenu la bonification de l'aide financière proposée par les libéraux de Jean Charest pour compenser l'effet de l'augmentation des tarifs.

Le jeu en valait la chandelle puisque la paix sociale est revenue sur les campus, se plaît à répéter le ministre à l'Assemblée nationale sans saisir l'ironie de ses rivaux politiques qui lui font remarquer qu'il a capitulé sans condition devant les leaders étudiants.

Aussi, pour faciliter la tâche aux associations étudiantes et éviter d'autres débordements sociaux, M. Duchesne s'est montré ouvert, en novembre, à l'idée de reconnaître aux étudiants le droit de grève au même titre que celui consenti aux salariés syndiqués.

Cette dernière proposition a convaincu plus d'un analyste que Martine Desjardins, la présidente de la Fédération universitaire du Québec (FEUQ), disait vrai lorsqu'elle a salué la nomination de M. Duchesne à titre de ministre de l'Enseignement supérieur.

«Monsieur Duchesne a été l'un des acteurs au front avec nous», avait-elle affirmé au sujet de l'ex-reporter de Radio-Canada passé au service du Parti québécois l'été dernier.

Les acteurs du «printemps érable» ont eu de quoi célébrer avec l'élection du Parti québécois le 4 septembre et bon nombre d'entre eux pensent qu'il ne faut surtout pas s'arrêter en si bon chemin.

Après le gel des droits de scolarité, certains rêvent de la gratuité scolaire totale.

En outre, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) reproche à l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) - la faction radicale du mouvement étudiant - de chercher à lui arracher des membres en prévision d'un nouveau boycott des cours au début de l'an prochain.

L'ASSÉ a d'ailleurs posé une série de conditions pour participer à la grand-messe de l'éducation, notamment l'assurance que la gratuité scolaire figure au menu des discussions.

Le groupe se réserve le droit de claquer la porte à tout moment, «si les dés sont pipés (et) si les orientations de ce sommet ne nous permettent pas d'exprimer nos revendications pour la gratuité scolaire», a averti son porte-parole, Jérémie Bédard-Wien.

Pour l'heure, le gouvernement Marois penche non pas vers la gratuité mais plutôt vers la simple indexation des droits de scolarité. Mais il y a espoir pour les tenants de la gratuité puisque la première ministre a récemment revendiqué son droit de changer de cap si ses orientations suscitent des objections.

«Ce n'est pas seulement vrai pour un gouvernement minoritaire, ça devrait être vrai tout le temps, qu'un gouvernement puisse écouter la population et corriger le tir lorsque c'est nécessaire», a-t-elle déclaré à l'ajournement des travaux parlementaires le 7 décembre, pour justifier les nombreux reculs de son gouvernement depuis le scrutin du 4 septembre dernier.