Une loi pour encadrer les manifestations ne trouve aucun précédent dans l'histoire récente du Québec, selon plusieurs juristes et historiens que La Presse a joints. Un règlement municipal a peut-être carrément interdit le droit de manifester en 1969, mais il est difficile de le comparer avec la loi adoptée hier.

«À ma connaissance, il n'y a pas d'exemple récent dans les lois du Québec d'un tel contrôle des manifestations», avance Jacques Rouillard, professeur d'histoire de l'Université de Montréal, spécialisé dans les questions sociales et syndicales.

Le seul précédent qu'il évoque: un règlement controversé du maire de Montréal, Jean Drapeau, adopté en novembre 1969. On ne limitait pas les manifestations. On les interdisait, durant 30 jours.

Une vague de contestation secouait alors Montréal, notamment avec les conflits de travail des policiers et des pompiers, ainsi que l'opposition au projet de loi 63, qui consacrait le libre-choix de la langue. Le controversé règlement sera défié. Une importante manifestation se déroulera notamment le 18 novembre.

«Mais en ce qui concerne le mouvement étudiant, je ne me souviens pas d'une loi similaire. C'est très inusité», soutient M. Rouillard.

Charles-Maxime Panaccio, professeur à la section de droit civil de l'Université d'Ottawa, ne se souvient pas non plus d'une loi similaire. «Il n'y a pas eu de précédent parce que c'est tellement hors-norme.» Il rappelle tout de même que la loi spéciale est moins sévère que celle sur les mesures de guerre appliquée notamment en octobre 1970. «On pouvait arrêter des gens de façon assez arbitraire et on pouvait les détenir pendant 48 heures sans avoir à les faire passer devant un juge.»

Stéphane Beaulac, professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal, affirme pour sa part qu'on peut difficilement comparer le règlement municipal à la loi spéciale. «C'est vraiment une autre époque. En matière de droit public, la donne a changé considérablement en 1975 avec l'adoption de la Charte québécoise et en 1982 avec l'adoption de la Charte canadienne. Les valeurs en lien avec la liberté d'expression et la liberté d'association sont beaucoup mieux protégées.»

Conflit étudiant c. conflit de travail

Même si on ne force pas les étudiants et cégépiens à retourner en classe, M. Beaulac croit qu'on peut faire un parallèle avec les lois spéciales de retour au travail. «Depuis le début du conflit étudiant, on fait beaucoup d'analogies avec les relations de travail. On a essayé de légitimer le mouvement social de la grève étudiante. Il n'y a pas de précédent dans la loi, mais on peut faire des parallèles avec des lois spéciales de retour au travail», affirme-t-il.

Dans le milieu syndical, il existe plusieurs exemples de lois spéciales pour forcer le retour au travail, éloigner les piquets de grève et imposer des amendes salées aux associations.

Un exemple: en juillet 1999, le gouvernement Bouchard adopte une loi d'exception pour mettre fin à la grève illégale des infirmières. Elle prévoit des amendes sévères - de 24 300$ à 121 400$ pour les associations. Pauline Marois est alors la ministre de la Santé. Jean Charest, qui est le chef de l'opposition officielle, vote contre.

Selon Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l'Université Laval, il n'existait pas à proprement parler de droit de grève pour les associations étudiantes. Mais on leur en reconnaissait les prérogatives depuis 50 ans. Ce «consensus» change avec la loi adoptée hier.

Quoi qu'il en soit, la loi d'exception adoptée par Québec pourrait inspirer d'autres provinces puisque les gouvernements canadiens se montrent de plus en plus fermes devant les manifestations publiques. Bruce Hicks, professeur au département de sciences politiques à l'Université Concordia, rappelle le cas du sommet du G20, à l'occasion duquel Toronto avait mis en place des mesures accordant des pouvoirs extravagants à la police, selon l'ombudsman de l'Ontario. «Même au Québec, les gens deviennent de moins en moins tolérants à l'égard des manifestations», observe-t-il.