À l'époque où les voyages somptueux de dirigeants de la FTQ sur le yacht de Tony Accurso commençaient à défrayer la chronique, le PDG du Fonds de solidarité éprouvait une crainte surprenante: que le fonds ait servi à financer une partie du bateau.

Commission Charbonneau: trop tôt pour tirer des conclusions

« C'est pas acceptable une affaire de même. Si ça s'est passé, il faut s'organiser pour que personne ne mette la main là-dessus, jamais, ever. Va falloir que ce soit nié fermement », déclare Yvon Bolduc, qui est toujours à la tête du Fonds, dans une écoute électronique diffusée aujourd'hui à la commission Charbonneau.

Dans cette conversation, qui remonte à mars 2009, Bolduc s'adresse à Michel Arsenault, président de la FTQ et du CA du Fonds de solidarité.

Il lui parle d'une rumeur selon laquelle le fameux Touch aurait été payé grâce à un système de fausses factures faites au nom de l'entreprise Hypescon, une compagnie de tuyaux de ciment dans laquelle Acurso et le Fonds étaient partenaires.

« J'ai été voir si on était actionnaire dans Hypescon. Ben on n'est pas rien que prêteurs, on est à 50% là-dedans. Fac on a payé 50% du bateau, câlisse», poursuit Bolduc dans l'écoute électronique.

« Je voudrais pas que ça sorte que les actionnaires du Fonds ont payé l'bateau à Accurso », ajoute-t-il quelques instants plus tard.

« Ça sortira pas parce que c'est pas vrai », réplique Arsenault

« Des ragots »

Michel Arsenault a témoigné pour une troisième journée à la commission Charbonneau aujourd'hui. Questionné sur cette affaire, il affirme qu'il est allé vérifier l'histoire auprès d'Accurso. « Je me suis fait faire toute une crise. Il a nié avec vigueur », a-t-il témoigné.

Est-ce que votre relation privilégiée a fait en sorte que vous avez fermé les yeux sur cette histoire, a demandé la procureure Me Sonia Lebel.

« Quand ce bateau-là a été construit, je n'étais pas président de la FTQ », a-t-il répliqué.

Il a ajouté que ce n'était pas sa responsabilité de faire la lumière sur ces allégations.

Ce n'est pas au président du Conseil d'administration de faire des recherches, c'est à l'interne.

« Bolduc ne m'est jamais revenu avec ça. C'était la responsabilité des administrateurs du fonds de faire des vérifications dans les livres. Je ne suis pas comptable agréé, je ne vais toujours pas aller faire des vérifications chez Hypescon! »

«Je n'ai jamais approché Blanchet»

Même s'il y a songé, Michel Arsenault soutient qu'il n'a jamais approché Claude Blanchet pour qu'il fasse des pressions sur sa femme Pauline Marois, afin qu'elle se positionne contre la tenue d'une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction.

« M. Blanchet était un partenaire du fonds et ça m'est passé par la tête que peut-être si je lui parlais, il pourrait parler à son épouse. Mais je ne l'ai pas fait, j'y ai pensé et je ne l'ai pas fait», a déclaré ce matin Michel Arsenault à la commission Charbonneau.

Son idée de contacter le mari de Pauline Marois, alors chef de l'opposition, a été révélée au grand jour la semaine dernière lors du témoignage de l'ancien président de la FTQ-Construction, Jean Lavallée.

Dans une écoute électronique diffusée à la commission, Lavallée et Arsenault affirment qu'ils veulent se tourner vers leurs «amis du PQ» pour éviter la tenue d'une commission d'enquête. « Si y'embarque dans ça, y vont s'faire ramasser eux autres aussi », avait alors déclaré Lavallée. « Ben y sont mal pris en osti, parce qu'on a un deal avec Blanchet là », avait répondu Arsenault.

Devant la commission, Arsenault a qualifié cet échange de séance de « brainstorming ».

« Écoutez, c'est une mauvaise idée que j'ai eue et je l'ai dit tout fort. Je vous le concède, ce n'est pas la meilleure idée que j'ai eue dans ma vie », s'est-il justifié

« Le but n'est pas de corrompre Mme Marois »

La commission a ensuite présenté une nouvelle écoute électronique où il est question de Claude Blanchet et de son entreprise Capital BLF, dans laquelle le bras immobilier du Fonds de Solidarité (SOLIM) a investi. La conversation survient le 17 février 2009, cette fois entre Michel Arsenault et le dirigeant syndical, Louis Bolduc.

Bolduc lui rapporte une conversation précédente qu'il a eue avec Jean Lavallée. « Je lui ai dit: il y a un dossier qui me chicote. Il m'a dit lequel? J'ai dit Blanchet. Il a dit oui moi aussi, mais il a dit ça, c'est le call à Yvon Bolduc (le PDG du Fonds de solidarité). Il nous a demandé de le faire. »

Michel Arsenault répond ensuite à Louis Bolduc qu'il a aussi parlé du dossier avec Yvon Bolduc. « Yvon m'a demandé, est-ce qu'il y a des réticences? Je lui ai dit non, écoute, le flo, sa mère va peut-être bien être première ministre dans une couple d'années. On n'aura pas de trouble avec. »

Une fois la diffusion de cet extrait terminé, Michel Arsenault s'est dit « très mal à l'aise », mais que la nature de la conversation était du « pétage de broue entre deux syndicalistes ».

« C'est une farce plate que je regrette », a expliqué Arsenault. « L'investissement de M. Blanchet, ce n'était pas dans le but de corrompre Mme Marois. Monsieur Marois euh... M. Blanchet, ce n'est pas quelqu'un qui a besoin de Marois pour faire ses affaires, c'est un homme d'affaires prospère et si je savais que j'étais enregistré je ne l'aurais pas dit. »

Arsenault le messager d'Accurso?

La commission a diffusé cet après-midi une brève écoute électronique entre Michel Arsenault et Jean Charest, au moment où il était premier ministre du Québec.

Au cours de cette conversation, survenue en 2009, il lui confirme qu'il sera nommé dirigeant à la Caisse de dépôt après le départ de Henri Massé. « Tu vas être nommé-là Michel. Laisse-moi le timing, je veux que tu y aille, de bon coeur», dit Jean Charest.

Arsenault voulait toutefois parler au premier ministre d'un autre sujet: le fait que le consortium espagnol qui a remporté le contrat de construction de l'autoroute 30, a sous-traité l'ingénierie à une firme chinoise. «La marde va frapper la fan tantôt monsieur le premier ministre », lui dit Arsenault.

Charest répond qu'il n'a pas eu vent de cette affaire, mais qu'il ira aux nouvelles.

C'est l'entrepreneur Tony Arcuso, furieux, qui avait informé Michel Arsenault de la présence de « chinois » dans le projet.

Arsenault lui promet de faire quelque chose. Il téléphonera à Jean Charest et à Pauline Marois sur cette affaire puis se rapportera à Arcurso. « Je peux te dire de quoi, Charest yé venu de toutes les couleurs quand je lui ai dit ça. »

« Vous n'êtes pas en train de faire jouer votre propre influence ou votre propre accès au nom de M. Accurso », a demandé la procureure de la commission Me Sonia Lebel, après la diffusion de ces extraits.

« Je porte le message de l'intérêt de l'économie québécoise et des ingénieurs québécois », a répliqué Arsenault.

«Je n'ai jamais reçu d'offre de pot-de-vin», dit Arsenault