Figure incontournable du financement politique depuis près de 30 ans, il a été nommé par pas moins de 16 témoins depuis le début des audiences de la commission Charbonneau. On a appris lors de sa très attendue première journée de témoignage que Bernard Trépanier, surnommé Monsieur 3%, a aussi travaillé pour au moins six entreprises liées au monde municipal, qui lui ont versé des centaines de milliers de dollars au fil des ans.

Bernard Trépanier n'était pas seulement un collecteur de fonds prolifique; il mangeait à tous les râteliers, a exposé hier la commission Charbonneau. Alors qu'il était directeur du financement d'Union Montréal, l'homme recevait plus de 100 000$ par an de la firme de génie Dessau. Il a également reconnu qu'il travaillait à la même époque pour au moins cinq autres entreprises liées au domaine municipal.

Organisateur politique depuis 1984, Bernard Trépanier travaillait parallèlement comme «ouvreur de portes» pour diverses entreprises décrochant des contrats municipaux, même s'il ne s'est jamais inscrit au registre des lobbyistes, comme l'y obligeait la loi. Une compilation présentée par la Commission démontre que Dessau lui a remis plus de 900 000$ de 2002 à 2010, dont 216 000$ pour la seule année 2008.

L'homme de 74 ans a assuré que cet argent a servi exclusivement de rémunération pour avoir trouvé un ancien fonctionnaire de Transports Canada pour aider Dessau à répondre aux appels d'offres d'Aéroports de Montréal. Grâce à cette aide, Dessau aurait décroché d'importants contrats avec la société fédérale.

Vérifications faites, ce contact identifié comme étant Claude Kulczycki n'était pas qu'un simple fonctionnaire fédéral à la retraite. Sur sa page Facebook, il se présente comme un «agent de contrats pour Les Aéroports de Montréal», sans préciser s'il occupe toujours ce poste. Il a été impossible de s'entretenir avec lui hier. Une femme a brusquement raccroché quand un représentant de La Presse a demandé à lui parler.

Parjure de Sauriol?

De plus, les informations avancées hier par la Commission viennent directement contredire le témoignage de l'ingénieur Rosaire Sauriol. L'homme, qui a démissionné lundi de son poste chez Dessau, a affirmé la semaine dernière que sa firme avait versé à Trépanier «peut-être de 5000$ à 10 000$ par année», sans jamais parler d'une compensation pour avoir aidé la firme à décrocher un contrat avec Aéroports de Montréal.

Sauriol avait plutôt expliqué que cet argent servait de contribution au tournoi de golf annuel organisé par Bernard Trépanier pour Astral Média, «pour faire du développement d'affaires» avec certaines municipalités.

Outre Dessau, Trépanier a reconnu avoir travaillé pour au moins cinq autres entreprises, toutes liées de près au domaine municipal. Le procureur Denis Gallant, responsable de son interrogatoire, n'a pas eu le temps de le questionner sur son rôle avec celles-ci ni sur les sommes versées pour chacune d'entre elles.

Ces représentations de Trépanier pour six entreprises du domaine municipal sont d'autant plus troublantes qu'il a été employé permanent d'Union Montréal de 2004 à 2006. Selon le trésorier du parti, entendu lundi, le collecteur de fonds recevait un salaire annuel de 82 000$ pour orchestrer le financement du parti. Et même s'il a été congédié pour des raisons encore mystérieuses en février 2006, il a continué à solliciter des dons jusqu'à la fin de 2009.

Bernard Trépanier est ainsi le deuxième employé d'Union Montréal à admettre devant la Commission qu'il a perçu parallèlement à son salaire une rémunération d'une firme de génie. L'ex-directeur général de la formation, Christian Ouellet, a reconnu à la mi-mars avoir reçu 300 000$ de 2004 à 2008 pour «assurer l'implantation efficace de Roche sur le marché montréalais».

Ce n'est pas la première fois que l'entreprise de Trépanier, Bermax, fait surface à la commission Charbonneau. Après avoir reconnu qu'il a activement participé à la collusion dans la métropole, l'ingénieur Michel Lalonde, de Génius, a affirmé en janvier que Trépanier lui avait fait une fausse facture au nom de son entreprise afin de faciliter le paiement d'un don illégal à Union Montréal. «Il m'a facturé, on l'a payé en chèque, puis il s'est arrangé pour compléter le financement que je lui devais.»

Témoignage ardu

Le témoignage de Bernard Trépanier devant la Commission s'avère ardu. Dès les premières minutes, l'homme de 74 ans a fait savoir qu'il avait de la difficulté à entendre, si bien que le procureur Gallant et les commissaires Charbonneau et Lachance doivent hausser le ton pour qu'il les comprenne. Le témoin a aussi affirmé avoir des trous de mémoire en raison de ses problèmes passés avec l'alcool, même s'il est sobre depuis 33 ans.

Malgré ces problèmes, Trépanier a néanmoins démontré à plusieurs reprises qu'il pouvait se montrer combatif. Il s'est fâché à quelques occasions contre le procureur Denis Gallant, notamment lorsque l'avocat a indiqué qu'il avait fait faillite. Il s'est insurgé et a dit qu'il avait pris un arrangement grâce auquel il a payé 100 000$ des 300 000$ qu'on lui réclamait.

______________________________________

Dessau ne savait pas

La firme Dessau a précisé hier que la direction et son président Jean-Pierre Sauriol n'étaient pas au courant des paiements versés par l'entreprise à Bernard Trépanier et à sa firme Bermax. Ces paiements ont été faits par le frère du président, Rosaire Sauriol, alors vice-président de Dessau.

La firme dit avoir pris connaissance des faits lors du témoignage de M. Sauriol, le 21 mars. La Commission a ensuite demandé au témoin de produire toutes les factures au nom de M. Trépanier «Elle [la direction de Dessau] a pris connaissance de l'ampleur des paiements en faisant les recherches demandées par la Commission, le 22 mars», peut-on lire dans un communiqué. Les documents ont été remis à la Commission le 25 mars. Le même jour, Rosaire Sauriol a démissionné.

Par ailleurs, craignant de voir sa réputation davantage entachée par les travaux de la commission Charbonneau, la firme de génie Dessau a demandé et obtenu le statut de participant afin de contre-interroger les témoins entendus.

La juge France Charbonneau doit toutefois décider si elle limitera son accès aux documents pour ne pas compromettre l'enquête publique, puisque l'entreprise a reconnu sa participation à la collusion.

En plus de Bernard Trépanier, qu'ils souhaitent contre-interroger, les avocats de l'entreprise précisent que la portion de l'enquête publique sur Laval risque de les toucher, car Dessau est un joueur important dans l'île Jésus.

- Avec Annabelle Blais