L'ancien entrepreneur en construction Lino Zambito a lié mardi deux ex-piliers de l'administration du maire Tremblay à des manoeuvres douteuses dans deux contrats de voirie de la Ville de Montréal, attribués en 2005.

L'ex-propriétaire de la firme de construction Infrabec, de Boisbriand, a affirmé que l'ancien directeur général de la Ville Robert Abdallah aurait reçu un pot-de-vin de 300 000$ d'une société de la Rive-Sud afin de favoriser l'utilisation d'un de ses produits, sur un chantier réalisé par M. Zambito.

Cette histoire se serait produite, paradoxalement, dans le cadre d'un contrat obtenu loyalement par Infrabec, assure M. Zambito. L'entreprise de M. Zambito avait présenté la plus basse soumission pour le contrat de collecteur d'égout dans l'est de Montréal en proposant une technique de construction différente. Au lieu d'utiliser des tuyaux de béton armé (TBA) fabriqués en usine, Infrabec proposait de couler les tuyaux sur place, 10 mètres sous la rue Sherbrooke.

Un ingénieur de la firme de génie-conseil Groupe Séguin, Michel Lalonde, chargé de la surveillance du chantier, l'a toutefois rencontré, en compagnie des dirigeants de la firme de matériaux Tremca de Saint-Jean-sur-Richelieu, Michel et Éric Caron, pour le convaincre d'utiliser leur produit.

«On m'a dit clairement que si je voulais que le projet soit octroyé par la Ville de Montréal, il fallait absolument que j'installe du TBA, à la demande de M. Robert Abdallah, qui était organisé avec les gens de Tremca», affirme Lino Zambito.

L'ingénieur, poursuit-il, «avec la bénédiction de M. Abdallah, avait été mandaté pour s'assurer que les extras qui [lui] seraient payés feraient en sorte que ça ne [lui] coûte pas plus cher» que ce qu'il avait prévu. «Je leur ai dit que je n'avais pas de problème à faire le chantier en TBA si j'étais compensé.»

Selon lui, Robert Abdallah aurait touché 300 000$ de Tremca en forçant Infrabec à utiliser ses tuyaux.

Dans un autre contrat, aussi attribué en 2005, l'ancien numéro 2 de la Ville de Montréal Frank Zampino aurait manoeuvré pour favoriser l'attribution d'un chantier à l'entrepreneur Tony Accurso (voir autre texte en page A3).

Des égouts au MTQ

Ces révélations sont survenues au début d'une longue journée d'étude au cours de laquelle la commission Charbonneau a présenté une cinquantaine des soumissions publiques auxquelles la société de M. Zambito a participé, dans les années 2000, à Montréal.

Selon lui, des dizaines de soumissions, surtout pour des contrats d'égout, avaient été «truquées». Dix entreprises, dont Infrabec, formaient une sorte de «club» des égouts qui se partageait d'une manière assez informelle le marché de Montréal.

Le commissaire Renaud Lachance a voulu savoir s'il existait un tel «club» au ministère des Transports du Québec (MTQ), et s'il avait eu connaissance de cas de corruption de fonctionnaires semblables à ceux de la Ville de Montréal dans ce ministère.

«À la Ville de Montréal, a dit M. Lachance, c'était avec les fonctionnaires. Au MTQ, c'est avec des firmes privées de génie civil que les entrepreneurs sont en discussion pour, possiblement, bonifier les budgets, afin d'augmenter leurs marges de bénéfices. Ensuite les entrepreneurs se parlent pour se répartir les contrats du MTQ entre entreprises. Est-ce que je le décris bien?»

«Vous le décrivez bien, lui a répondu M. Zambito. Et c'est là, par ce lien qu'il y avait entre les bureaux d'ingénieurs et les entrepreneurs, qu'on rentre dans la dynamique du financement de partis politiques provinciaux. On entre dans une autre dynamique complètement.»

«Quand on va sortir de Montréal, a-t-il dit, et qu'on va aller au ministère des Transports, en banlieue nord et à Laval, vous allez réaliser les demandes politiques faites aux entrepreneurs.»

«À Montréal, on a beaucoup identifié le fait que c'était le crime organisé. À certains endroits, le rôle du crime organisé était joué par des élus.»