Sans trop qu’on y porte attention, le Québec a développé une vraie culture anticorruption depuis 10 ans.

Je sais, c’est choquant de lire ça, on préfère penser que tout va mal. Mais il faut parfois prendre une pause d’autoflagellation nationale pour mesurer le chemin parcouru.

La meilleure preuve est l’émoi que ces pauvres cocktails à 100 $ de la Coalition avenir Québec est en train de provoquer.

Je ris beaucoup en observant l’étalage de ces faux scandales. De l’argent déclaré, enregistré, pour participer à une réunion politique. Peut-être « voir » un ministre.

Ah bon ?

Oui, bien sûr, les gens de financement politique ont beau avoir remisé leur complet à carreaux de vendeur de chars usagés, ils ont gardé de vieux réflexes cheap.

Mais soyons sérieux, cette histoire a à voir avec le mauvais goût et pas du tout avec la corruption politique.

C’est vraiment à éclater de rire, quand on pense aux millions du scandale des commandites pour financer le Parti libéral du Canada il y a 25 ans. Ça fait franchement pitié, quand on compare aux 100 000 $ exigés aux ministres du Parti libéral du Québec sous Jean Charest. Et c’est presque gênant quand on pense au niveau de financement illégal pratiqué par les principaux partis québécois il y a 10 ans à peine.

Oui, ma mère aussi me dit de me comparer avec les meilleurs, et non avec les pas-bons. On peut toujours faire mieux.

Je signale simplement qu’on est passé d’une époque politique où les valises de billets volaient et revolaient dans la plus totale indifférence à un moment de conscience éthique qui frise la pudibonderie.

Nous avons changé !

Mardi, quand j’ai vu le maire de Laval, Stéphane Boyer, dire que sa ville avait « tourné la page sur la corruption », après avoir récupéré 60 millions des corrupteurs et des corrompus, c’est devenu encore plus clair.

Ce qui est clair ?

Les enfants de la commission Charbonneau sont en quelque sorte aux commandes dans la plupart des villes du Québec. La nouvelle génération de maires, de Québec à Laval en passant par Longueuil, Montréal, Gatineau et j’en passe, est imprégnée d’une tout autre culture politique. Quoi que vous pensiez du Retour de Denis Coderre II sur tous les écrans de la province, il n’en reste pas moins qu’il a inauguré à Montréal une ère de « propreté » post-corruption. Et quoi que vous pensiez de Valérie Plante, personne ne la soupçonnera de pactiser avec des promeneurs de valises de cash.

J’ai encore en tête ma visite à l’hôtel de ville pharaonique de Longueuil, hérité d’une autre époque, où la mairesse Catherine Fournier était presque gênée de me recevoir.

On pourrait continuer longtemps, et je signale que la corruption n’était pas partout, et n’est sûrement pas éradiquée à jamais. Simplement : la qualité de l’air politique a changé, ça se sent, ça se respire.

Aux nostalgiques qui pensent que tout « était mieux avant », je veux rappeler deux noms : John Gomery et France Charbonneau. Deux juges ayant présidé chacun une commission d’enquête touchant à la corruption et au financement de la politique au Québec.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La juge France Charbonneau en 2015

C’est comme si on avait oublié ces épisodes vaguement honteux de l’histoire québécoise. J’ai toujours cru au contraire qu’on devrait être fiers d’avoir exposé ces malversations.

Plusieurs ont critiqué ces commissions parce qu’elles n’ont pas permis de faire « arrêter les bandits ». D’abord, je rappelle que plusieurs des politiciens corrompus et des entrepreneurs ont été condamnés devant la cour criminelle, et pas seulement des deux de pique. Tony Accurso était quand même le roi de la construction…

L’Unité permanente anticorruption a eu ses ratés, mais elle aussi a contribué au ménage et à une vigilance générale.

D’autres ont dit que tout ça avait coûté trop cher pour de maigres résultats. Ce n’est pas le cas : le Programme de remboursement volontaire présidé par l’ex-juge François Rolland avait permis de récupérer 95 millions volés à des dizaines de villes et au ministère des Transports du Québec.

C’est très peu quand on sait l’ampleur historique de la collusion et de la corruption dans certains coins du Québec. Mais ce que je veux mettre en lumière aujourd’hui, c’est la partie « culturelle ». C’est à la corruption évitée qu’il faut penser. Aux sommes qui ne sont pas volées aujourd’hui.

Le plus grand mérite de nos thérapies de groupe politico-judiciaires a été d’avoir chassé une génération de politiciens et d’entrepreneurs. Et d’avoir fait suffisamment peur aux autres en exposant les systèmes.

Je sais bien, tout est cyclique, on finit par baisser la garde, les vieilles tentations refont surface.

Mais quand on a connu pendant deux générations le degré de corruption profond, systémique et systématique d’une ville comme Laval, on se souvient du temps où il était inimaginable que cela finisse un jour.

Et pourtant, comme le dit le maire Boyer, c’est arrivé, la page est tournée.