Appuyer les trolls et vouloir devenir chef de police

L’inspecteur Patrick Lavallée est un policier de grade élevé au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il a jadis trouvé que c’était une bonne idée d’appuyer le convoi des camionneurs qui a occupé Ottawa au début de l’hiver 2022.

M. Lavallée a versé 20 $ au site de sociofinancement qui a récolté 8 millions US pour les protestataires, début février 2022.

Puis, à la mi-février, une fuite a permis de connaître les noms et les coordonnées de près de 100 000 donateurs au convoi de la « liberté ». Le nom de M. Lavallée s’y trouvait.

La réponse du SPVM a été rapide : deux semaines après cette fuite l’identifiant comme un donateur au convoi, il a été déchu du poste qu’il venait de décrocher, à la tête de la Division de l’intégrité. On l’a réaffecté au poste de conseiller au soutien à la gendarmerie du secteur Sud-Ouest.

C’était une rétrogradation, même si le policier Lavallée a conservé son grade et son salaire.

Et M. Lavallée, malgré sa rétrogradation, avait déposé sa candidature à la fin de 2022 pour succéder au chef démissionnaire Sylvain Caron.

Comme le rapportait lundi dans La Presse¹ mon camarade Philippe Teisceira-Lessard, Patrick Lavallée a entamé une contestation judiciaire, plaidant que cette rétrogradation était en fait un congédiement déguisé.

Le Tribunal administratif du travail ne s’est pas prononcé sur le fond, renvoyant la balle à la Cour du Québec. C’est là que le débat va se faire. M. Lavallée peut bien sûr faire valoir ses droits. A-t-il été victime d’un congédiement déguisé, alors qu’il n’a perdu ni son salaire ni son grade ? Je ne vais pas spéculer, la Cour tranchera.

Cependant, j’aimerais soumettre au tribunal de l’opinion publique quelques observations.

Dès la fin de janvier 2022, les individus et organisations qui pilotaient ce convoi de camions lourds en direction d’Ottawa étaient connus². Les plus visibles d’entre eux étaient des conspirationnistes et des agitateurs d’extrême droite. Comme le groupuscule Canada Unity, qui envisageait même de démettre le gouvernement élu : il avait détaillé ses ambitions par écrit³.

Quand j’ai écrit sur les leaders du convoi le 28 janvier 2022⁴, leurs affiliations étaient déjà connues et commentées au Canada anglais.

Qu’un citoyen privé ait décidé de financer des négationnistes sanitaires comptant dans leurs rangs des éléments qui ambitionnaient d’instaurer un régime autoritaire au Canada est une chose.

Qu’un haut responsable d’un corps de police chargé d’appliquer la loi ait décidé en son âme et conscience que c’était une bonne idée de financer ces illuminés est une chose complètement différente…

Qui pose la question de la qualité du jugement de Patrick Lavallée.

J’ignore à quel moment l’inspecteur Lavallée a fait son don à la campagne de sociofinancement des « camionneurs ». S’il savait qui étaient les organisateurs du convoi et qu’il a quand même décidé de faire un don, c’est affligeant…

S’il ne s’est pas informé, c’est tout aussi affligeant.

Mais ce qui est souverainement ironique, c’est de voir que M. Lavallée invoque la règle de droit pour contester sa rétrogradation… Alors que les manifestants qui ont paralysé Ottawa et des postes frontaliers canado-américains s’en fichaient complètement. Prôner un coup d’État est contraire à la règle de droit.

Bref, je ne sais pas s’il y a dans la Loi sur la police une fissure dans laquelle le policier Lavallée va réussir à faire passer le camion de sa rétrogradation pour un congédiement déguisé. Mais comme Montréalais, je suis rassuré de voir qu’il a été mis au ban des hautes instances décisionnelles du SPVM.

Je note aussi qu’après sa rétrogradation, Patrick Lavallée a décidé de poser sa candidature comme chef de la police de Montréal…

Qu’il ait pu penser que les élus de la Ville de Montréal allaient sélectionner comme chef un homme qui a appuyé des négationnistes sanitaires qui ont été si souvent une nuisance à la sécurité publique pose encore une fois la question du jugement de M. Lavallée…

Ou alors M. Lavallée se comportait comme un troll en posant sa candidature.

Qu’est-ce qu’un troll ?

Je cite le dictionnaire Le Robert : « Personne qui cherche à créer la polémique sur un forum de discussion ou sur les réseaux sociaux. »

Les trolls sévissent parfois dans le réel, aussi. Et ceci expliquant cela, on comprend mieux pourquoi le policier Lavallée a choisi d’appuyer les trolls d’Ottawa : qui se ressemble s’assemble.

1. Lisez le texte « Écarté pour un don au mouvement des camionneurs » 2. Consultez une publication sur X (en anglais) 3. Lisez la déclaration de Canada Unity 4. Lisez la chronique « Le trumpisme canadien fait un tour de camion »