Le gouvernement Legault commence à avoir assez de pratique pour écrire un petit traité sur l’art du recul.

Le cas du troisième lien s’ajoute à d’autres abandons d’idées controversées, comme la taxe aux non-vaccinés et le congé réduit pour les parents adoptifs. Il en est sorti sans trop d’écorchures. Il s’est même vanté de savoir reconnaître ses erreurs.

Il a employé la bonne recette, à une exception près : identifier la cause de l’erreur afin de ne pas la répéter.

Dans le cas du troisième lien routier Lévis-Québec, cela consisterait à ne pas proposer à nouveau une solution avant d’avoir documenté le problème et examiné les autres options disponibles.

Cela devrait valoir aussi pour un tunnel sans voitures. La preuve reste à faire qu’il s’agit du meilleur investissement en mobilité pour la région.

Pour reculer sans accident, quatre étapes doivent être respectées : trouver un prétexte, choisir son moment, se montrer humble et imposer un changement de sujet.

L’échec du troisième lien routier était prévisible. Le projet était en train de s’écrouler sous son propre poids.

Le problème était exagéré. La congestion routière dans la région reste inférieure à la moyenne des villes canadiennes de taille semblable. Pour la décennie suivante, un ralentissement démographique était même anticipé sur la Rive-Sud.

Le prétendu remède n’aurait pas changé grand-chose non plus à long terme. À cause du phénomène du trafic induit, l’achalandage serait revenu à son niveau initial1.

Cette solution générait plutôt de nouveaux problèmes comme les émissions de gaz à effet de serre, la pollution atmosphérique, l’étalement urbain et la dépendance à l’automobile qui creuse notre déficit commercial et coûte cher aux individus.

Pendant ce temps, la facture menaçait de bondir à cause de l’inflation et le fédéral refusait de payer pour une portion significative des travaux.

Tout cela, on le savait depuis des mois, sinon des années.

Mais le gouvernement caquiste avait donné sa parole, alors il cherchait un obstacle imprévu. Il l’a trouvé : la mise à jour des données sur l’achalandage avec le télétravail postpandémique.

Il devait ensuite choisir son moment. Mieux valait ne pas trop attendre. Son mandat commence, sa majorité est écrasante, sa popularité reste forte et l’opposition est divisée.

À l’échelle du Québec, les caquistes font un gain. Ils se débarrassent de leur principal boulet environnemental.

Mais dans la Capitale-Nationale, la colère est vive. M. Legault la juge gérable. Après tout, les citoyens de la Capitale-Nationale auront plus de trois ans pour oublier avant la prochaine campagne électorale, et même s’ils se sentaient encore trahis, ils ne seraient pas forcément tentés par les libéraux, les péquistes ou les solidaires qui rejetaient eux aussi le projet.

Par contre, c’est une occasion rêvée pour Éric Duhaime. Pour la première fois depuis la fin de la pandémie, il peut mobiliser ses partisans avec un sujet émotif.

Les écologistes gagneraient d’ailleurs à doser leur enthousiasme. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a été l’une des premières à réagir. Vue de Québec, la décision ressemblait soudainement à une victoire pour les « donneurs de leçons de Montréal »…

Une fois la décision prise, le ton de l’annonce est crucial.

Le politicien doit paraître à la fois convaincu et contrit. M. Legault joue avec talent la carte de l’humilité. Il pose en pragmatique qui s’incline devant les faits, après avoir passé les dernières années à les ignorer.

Enfin, pour que le recul soit réussi, il faut tourner le regard des gens dans une autre direction. M. Legault le fait avec l’idée de tunnel sans voitures. Le message : je ne recule pas, je me dirige vers une nouvelle aventure verte.

Ne reste plus qu’à apprendre des erreurs passées.

Les caquistes n’envisageaient que le tunnel. Ils ont ignoré les avis quasi unanimes des experts – y compris ceux de Québec. Puis ils ont rétropédalé en cherchant des justifications, comme leur indice de « ponts par million d’habitants » qui permettait de comparer des pommes avec des tondeuses.

La prochaine fois, au lieu de commencer par la conclusion, mieux vaudrait procéder dans l’ordre.

Certes, Québec se démarque des autres villes canadiennes par son nombre élevé de kilomètres d’autoroutes et sa faible offre en transport collectif. Mais est-ce qu’un tunnel sous-fluvial est le meilleur choix pour améliorer ce réseau ? Si le télétravail a réduit les déplacements, l’achalandage justifie-t-il un tel investissement ? Comme le montre l’exemple du REM de l’Est, des défenseurs du transport collectif peuvent s’opposer à un projet à cause du coût ou du tracé.

Ensuite, si la vétusté des deux ponts actuels justifiait le troisième lien, que prévoit-on pour les sécuriser à long terme ?

Enfin, si l’ajout d’autoroutes n’est pas pertinent à Québec, cela devrait aussi valoir pour Montréal. Si M. Legault renonce au troisième lien routier, pourquoi promettre encore des projets qui partagent les mêmes vices, comme le prolongement des autoroutes 13 et 19 ? Même s’ils sont moins coûteux, ils restent tout aussi antiécologiques.

Tirer les leçons du troisième lien aiderait à prévenir un prochain recul. Car plus ils s’additionnent, plus ils risquent de devenir difficiles à justifier.

1.Lisez cette analyse sur le trafic induit produite par le ministère des Transports en 2012