Jamais la « période de dégel » ne s’est terminée aussi tôt au Québec : le laps de temps durant lequel les camions doivent réduire leur poids sur les routes prend fin ce vendredi soir dans le sud de la province, épilogue d’un hiver sous le signe des changements climatiques.

Ce qu’il faut savoir

  • La période de dégel, durant laquelle les camions circulant sur les routes doivent réduire leur poids, se terminera ce vendredi soir dans le sud du Québec.
  • Jamais une période de dégel ne s’était terminée aussi tôt, et rarement une période de dégel a-t-elle été aussi courte, au Québec.
  • Cette situation concorde avec l’hiver anormalement doux que le Québec a connu et témoigne de l’impact des changements climatiques.

« Les restrictions de charges seront levées dans la zone 1 à compter du vendredi 12 avril 2024, à 23 h 59 », ont indiqué le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) et la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) dans un communiqué, mercredi.

La zone 1 couvre le sud du Québec, de la frontière des États-Unis à une ligne allant de Sainte-Agathe-des-Monts à Rivière-du-Loup, en passant par Shawinigan et Québec – les zones 2 et 3 sont au nord de la zone 1 et la période de dégel doit s’y terminer le 10 mai dans les deux cas.

IMAGE TIRÉE DU SITE INTERNET DU MINISTÈRE DES TRANSPORTS ET DE LA MOBILITÉ DURABLE DU QUÉBEC

Carte des zones de dégel routier du Québec

La fin de la période de dégel survient généralement en mai dans la zone 1. Il n’y a eu que quatre exceptions entre 1977 et 2023, la période de dégel en zone 1 s’était terminée en avril ces années-là, montrent les données du MTMD.

Toutes ces exceptions ont été enregistrées depuis 2010, et c’est aussi de 2010 que datait le précédent record : la période de dégel avait alors pris fin le 17 avril.

Il y a aussi eu une mystérieuse double période de dégel en 1984, d’abord du 25 février au 1er mars, puis du 26 mars au 14 mai – une anomalie que le MTMD n’était pas en mesure d’expliquer cette semaine.

La période de dégel de 2024 rejoint celles de 2023 et de 2021 pour la durée la plus courte, à 39 jours, alors que la moyenne est généralement d’une soixantaine de jours en zone 1.

Les dates de début et de fin des périodes de dégel sont déterminées en fonction du « contexte climatique » des trois différentes zones de la province, afin de couvrir non seulement le dégel lui-même, mais aussi « la période durant laquelle la chaussée récupère sa capacité portante », en laissant les sols se drainer, précise le communiqué.

Corrélée aux changements climatiques

La fin précoce de la période de dégel est « totalement corrélée avec le réchauffement [de la planète] », explique le climatologue Alain Bourque, directeur général du consortium de recherches Ouranos.

« Ça va avoir tendance à s’amplifier dans le temps », prévient-il, ajoutant que le phénomène cyclique El Niño s’est couplé aux changements climatiques depuis un peu plus d’un an pour pousser les températures à la hausse.

Le Québec était d’ailleurs, avec le Groenland, l’un des deux endroits sur Terre où le mois de mars a été le plus anormalement chaud cette année, selon Copernicus, le programme européen d’observation de la Terre, souligne M. Bourque.

Ce genre de situation risque d’entraîner son lot de problèmes dans les régions froides comme le Québec, où le sol gèle en profondeur, l’hiver, prévient Alain Bourque, expliquant que les redoux peuvent faire fondre la glace en surface, mais pas nécessairement en profondeur, empêchant ainsi l’eau de surface de se drainer dans le sol.

C’est notamment ainsi que se créent les nids-de-poule, illustre-t-il.

« Le drainage est très mauvais en période de dégel », ajoute l’ingénieur Jean-Pascal Bilodeau, professeur du département de génie civil et de génie des eaux de l’Université Laval, qui s’intéresse entre autres à l’effet du climat sur les chaussées.

Et le problème peut être aggravé par un dégel rapide et un printemps pluvieux, ajoute-t-il.

« Quand il y a de l’eau [dans le sol], la capacité portante du sol est moins forte », explique M. Bilodeau, illustrant que l’expansion de la glace puis sa fonte ont pour effet de « décompacter » le sol.

« C’est un hiver particulier, dit-il. C’est un hiver qui a été particulier de A à Z. »

L’a b c des périodes de dégel

C’est avec de longues sondes placées dans les chaussées, communément appelées « gelmètres », que le ministère des Transports suivait jusqu’en 2014 la progression du gel et du dégel, afin de déterminer les dates de début et de fin de la période de dégel. Désormais, le Ministère utilise des « stations météoroutières ». Le début de la période de dégel est décrété quand 30 % des stations d’une zone indiquent une profondeur de dégel atteignant 30 cm, et la fin de la période de dégel est fixée cinq semaines après que la profondeur de dégel a atteint 90 cm dans 50 % des stations de cette même zone. Les premières périodes de dégel imposant des restrictions de charges aux véhicules datent de 1955, au Québec, mais elles ne sont consignées systématiquement que depuis 1977.

En savoir plus
  • 8 tonnes
    Charge maximale par essieu en période de dégel pour les camions à un essieu, soit 20 % de moins qu’en période normale
    source : ministère des Transports et de la Mobilité durable
    29,5 tonnes
    Charge maximale par essieu en période de dégel pour les camions comptant le plus d’essieux, soit 13 % de moins qu’en période normale
    source : ministère des Transports et de la Mobilité durable