L’ancien premier ministre canadien Brian Mulroney estime que l’histoire finira par rendre justice à son homologue russe Mikhaïl Gorbatchev, mort mardi à 91 ans.

« Mikhaïl Gorbatchev était un grand homme et un grand leader qui a signé des réalisations historiques, a indiqué M. Mulroney au cours d’une entrevue avec La Presse mercredi après-midi. Et, d’après moi, c’est pour cela que, malgré les problèmes et les embûches qu’il a connus chez lui, l’histoire va lui rendre justice. Il sera reconnu comme un leader de transformations au niveau mondial. »

Par « problèmes et embûches chez lui », l’ancien premier ministre progressiste-conservateur fait référence aux immenses difficultés économiques que les Russes ont vécues dans les dernières années du règne de M. Gorbatchev, marqué par la dislocation de l’Union soviétique. Après sa démission le 25 décembre 1991, M. Gorbatchev est pratiquement devenu persona non grata dans son propre pays, où il vivait à l’abri des regards.

M. Mulroney croit que tôt ou tard, le peuple russe reconnaîtra le dernier leader de l’Union soviétique.

Il prend l’exemple du président américain Harry S. Truman, qui a quitté son poste (1945-1953) avec un très haut taux d’impopularité. « Quarante ans plus tard, des historiens en faisaient le 5président le plus important de la République américaine », dit-il.

En tant que premier ministre du Canada de 1984 à 1993, Brian Mulroney a été aux premières loges des années Gorbatchev (1985-1991) en URSS et aussi de la fin du bloc de l’Est et d’une percée dans les relations entre l’Union soviétique et les États-Unis.

M. Gorbatchev a transformé l’économie de son pays et transformé l’attitude militaire. Il a mis un terme à la menace des armes nucléaires et également à la guerre froide. Ce sont des réalisations énormes.

Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada

« Avec raison, bien des gens donnent beaucoup de crédit au président Reagan pour la fin de la guerre froide. Mais il faut être deux pour danser, estime-t-il. Le président Reagan a trouvé en Gorbatchev son partenaire pour réaliser ces grandes initiatives, en étant appuyé par la solidarité de l’OTAN et des pays industrialisés de l’Ouest. »

Ferme sur l’Ukraine

Évidemment, ces transformations n’ont pas été qu’un long fleuve tranquille. La diplomatie comprend aussi sa dose de divergences, d’échanges corsés.

M. Mulroney cite à titre d'exemples deux cas. Lorsque Mikhaïl Gorbatchev s’arrête au Canada les 29 et 30 mai 1990, en route pour une rencontre avec le président George H. W. Bush aux États-Unis, il ne voulait rien savoir de l’entrée d’une Allemagne réunifiée (concrétisée le 3 octobre 1990) dans l’OTAN. « Je pense l’avoir convaincu d’abandonner en grande partie cette position, dit M. Mulroney. Je lui ai dit qu’il serait humilié s’il restait ferme là-dessus parce que le président Bush ne pourrait l’accepter. Il est allé à Washington et ils ont réglé ça à l’amiable. »

PHOTO RON POLING, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre canadien Brian Mulroney et le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev le 21 novembre 1989

Un an plus tard, en 1991, alors que les républiques s’apprêtaient à quitter l’URSS pour devenir indépendantes, M. Gorbatchev a demandé à Brian Mulroney de ne pas reconnaître officiellement l’indépendance de l’Ukraine. « Je lui ai dit que je le comprenais, mais que nous avions, au Canada, 1,4 million de citoyens d’origine ukrainienne et qu’ils souhaitaient cette indépendance depuis des décennies, des siècles, se souvient M. Mulroney. J’avais l’intérêt national du Canada à défendre. »

Sur un plan plus personnel, M. Mulroney estime que M. Gorbatchev et lui ont maintenu une amitié jusqu’à la mort du leader soviétique. Après avoir quitté la vie politique, les deux hommes, devenus conférenciers, ont eu plusieurs fois l’occasion de se côtoyer.

Il était simple, parfois très drôle, sympathique et d’un commerce agréable.

Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada

« Par contre, la mort de sa femme Raïssa [en 1999] lui a été très pénible. Mais après quelques années, il est redevenu l’homme que j’avais connu avant. Comme le diraient les Américains, il était un ‟Happy Warrior » », soutient M. Mulroney.

Autres réactions

Par ailleurs, le premier ministre canadien Justin Trudeau a réagi mercredi matin, sur Twitter, à l’annonce de la mort de l’ancien secrétaire général.

« Mikhaïl Gorbatchev a eu une influence considérable sur le monde. Il a contribué à mettre fin à la guerre froide, adopté des réformes au sein de l’Union soviétique et apaisé les tensions nucléaires. Il laisse derrière lui un héritage important », a résumé M. Trudeau.

« On se souviendra de Mikhaïl Gorbatchev comme d’un dirigeant déterminant pour la Russie. Nous nous souviendrons du leadership de Gorbatchev, qui a fait tomber le rideau de fer et ouvert la voie à un nouveau chapitre pour l’Europe », a pour sa part indiqué Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères.

La solidarité canadienne

« Cher Brian, l’attitude calme et respectueuse des Canadiens, leur soutien et leur solidarité au cours de ces années difficiles ont été tenus ici en haute estime. Nous savons que la population de votre pays souhaite le succès de nos réformes et des transformations démocratiques dont non seulement nous, mais le monde entier avons besoin. »

Source : Lettre de Mikhaïl Gorbatchev à Brian Mulroney, 25 décembre 1991, citée dans les mémoires de Brian Mulroney