Taux d’arsenic élevés dans le corps, cancers surprenants, maux mystérieux ; des habitants et d’anciens habitants de Rouyn-Noranda s’inquiètent pour leur santé. L’un d’eux veut même en découdre avec la Fonderie Horne devant les tribunaux.

Ethan Valois a établi un triste record : celui de l’enfant de Rouyn-Noranda ayant la plus forte « concentration d’arsenic unguéal », parmi ceux qui se sont fait tester.

Le garçon aujourd’hui âgé de 7 ans avait 5600 nanogrammes d’arsenic par gramme d’ongle (ng/g) lors de son premier test, en 2019 ; c’est près de 15 fois plus que la moyenne du quartier Notre-Dame, voisin de la Fonderie Horne, qui est de 377 ng/g.

La moyenne du quartier est elle-même près de quatre fois plus élevée que celle de la population non exposée d’Amos.

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Ethan, qui a aujourd’hui 7 ans, présentait le taux d’arsenic d’un grand fumeur en 2019.

« Les deux bras m’en sont tombés », raconte la mère d’Ethan, Marie-Josée Poulin, que La Presse a rencontrée à Rouyn-Noranda, la semaine dernière.

« Tu ne penses jamais que ça va être autant », ajoute-t-elle, reconnaissant qu’elle ne se sentait jusqu’alors pas concernée par les émissions de la fonderie, « comme beaucoup de monde ».

Les responsables de la Santé publique lui ont expliqué qu’un tel taux d’arsenic correspondait à celui d’un grand fumeur.

Ils m’ont dit que c’est comme si je faisais fumer mon gars. C’est comme si j’avais mis des cigarettes dans la bouche de mon gars tous les jours sans arrêt.

Marie-Josée Poulin, résidante de Rouyn-Noranda

Un second test réalisé un an plus tard a montré que la concentration d’arsenic unguéal d’Ethan avait baissé à 950 ng/g, une chute considérable, mais un taux encore nettement supérieur à la moyenne du quartier.

« C’est là qu’on a décidé de déménager » à l’extérieur de la ville, indique Marie-Josée Poulin.

Longtemps discrète sur le sujet, en raison des opinions divergentes au sujet de la fonderie dans la ville, la mère d’Ethan réclame maintenant que l’entreprise soit assujettie à la norme québécoise sur les concentrations d’arsenic dans l’air de 3 nanogrammes par mètre cube (ng/m 3).

« Je ne veux pas que [la fonderie] ferme, mais je veux [qu’elle baisse ses émissions] », dit-elle, inquiète que son fils, qui n’a pas de problèmes de santé actuellement, en développe plus tard.

Pour les prochaines générations

L’inquiétude ronge aussi Marjolaine Bizier, qui a été atteinte d’un cancer du poumon il y a un an.

La femme de 66 ans, qui a cessé de fumer il y a neuf ans, habite le quartier Notre-Dame depuis 20 ans ; elle affichait une concentration d’arsenic unguéal de 700 ng/g lors de ses traitements.

« Mon pneumologue a dit que ça n’a pas aidé, [une telle exposition à l’arsenic] », raconte Mme Bizier, qui craint plus que toute autre chose la possibilité d’un autre cancer.

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Marjolaine Bizier, qui habite le quartier Notre-Dame depuis 20 ans

Ma voisine, c’est la fonderie. Et elle en vapote une shot !

Marjolaine Bizier, résidante de Rouyn-Noranda

« Ma santé est à 50 % [de ce qu’elle était avant] », a confié Mme Bizier lors de l’assemblée citoyenne qui s’est tenue à Rouyn-Noranda, la semaine dernière, évoquant ses difficultés respiratoires et ses indispensables pompes.

Elle aussi réclame que la fonderie abaisse ses émissions pour respecter la norme québécoise sur les concentrations d’arsenic dans l’air, même si elle risque de ne plus être là « dans une couple d’années » pour en bénéficier.

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Marjolaine Bizier au micro lors d’une assemblée citoyenne à Rouyn-Noranda le 6 juillet

« On ne fait pas juste ça pour nous autres ; les petits bouts qui poussent, les enfants, c’est notre richesse à nous, dit-elle. La [Fonderie Horne] n’a pas le droit d’hypothéquer la santé de nos enfants pour ses profits nets au bout de l’année. »

Loin de Rouyn, mêmes problèmes

Les risques que les émissions d’arsenic et d’autres métaux lourds font peser sur la santé ne disparaissent pas quand on quitte la région.

Marie-Ève Morin en sait quelque chose ; la femme de 41 ans, qui est née à Rouyn-Noranda et y a vécu jusqu’à l’âge de 20 ans, a été frappée par le cancer du poumon il y a deux ans, bien qu’elle n’ait jamais consommé de tabac.

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Marie-Ève Morin, qui a vécu à Rouyn-Noranda jusqu’à l’âge de 20 ans

« Je me questionne sur l’environnement dans lequel j’ai grandi », confie à La Presse celle qui vit aujourd’hui dans les Laurentides. « Entre les années 1980 et 2000, ça goûtait souvent la mine. »

C’est aussi à cette période que les concentrations d’arsenic aux abords de la Fonderie Horne ont atteint des sommets inégalés, dépassant les 1000 ng/m 3, contre 100 ng/m 3 en 2021.

C’est sûr que quand on a un diagnostic de cancer du poumon à 39 ans et qu’on n’a jamais fumé, c’est tout un coup de pelle au visage.

Marie-Ève Morin, originaire de Rouyn-Noranda

Marie-Ève Morin est « pas mal certaine » de ne pas être la seule ex-Rouynorandienne à subir les conséquences possibles d’une exposition passée aux métaux lourds et souhaiterait que les personnes à risque puissent être testées.

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La rue Cuddihy, à Rouyn-Noranda, où a grandi Marie-Ève Morin

Le projet-pilote de dépistage du cancer du poumon mené depuis un an dans sept établissements de santé du Québec pourrait être élargi, suggère-t-elle ; il ne vise pour l’instant que les gens de 55 à 74 ans qui fument depuis au moins 20 ans ou qui ont fumé pendant au moins 20 ans.

« Pourquoi ne pas ajouter pas un critère environnemental ? demande-t-elle. Je pense que ça pourrait sauver des vies. »

D’autant que le cancer du poumon n’a « souvent pas d’effet sur la santé avant qu’il soit un peu trop tard », souligne-t-elle.

Elle se considère d’ailleurs comme chanceuse que le sien, « assez agressif », ait été découvert lors d’une série d’examens suivant une douleur abdominale qui, elle, s’est avérée bénigne.

« Sans ce hasard-là, je n’aurais pas eu beaucoup de chances, mettons. »

Pourquoi certains individus ont-ils plus d’arsenic dans les ongles que d’autres ?

La concentration d’arsenic unguéal montre l’imprégnation cumulée de quelques semaines, quelques mois avant le prélèvement, contrairement à l’urine ou le sang, qui reflètent l’exposition très récente. Elle peut varier considérablement d’un individu à l’autre en fonction de différents facteurs, comme les endroits fréquentés, la fréquence de nettoyage du logis ou le temps passé près d’une source d’émissions. Les enfants, qui inhalent proportionnellement un plus grand volume d’air que les adultes, présentent des concentrations d’arsenic unguéal plus élevées.

Un homme d’affaires veut en découdre avec la fonderie

Si Québec ne met pas la Fonderie Horne au pas, ce sera à la collectivité de le faire, estime l’homme d’affaires rouynorandien Dany Bonapace, qui envisage de s’adresser aux tribunaux.

« Si le gouvernement n’agit pas en fonction de l’intérêt public, ce qui veut dire notre santé […], la seule solution à notre problème, c’est une action juridique », a-t-il déclaré à La Presse lors d’une entrevue à son domicile.

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Dany Bonapace à son domicile de Rouyn-Noranda, où sa conjointe et lui s’occupent d’un refuge pour animaux malades ou blessés

L’homme de 51 ans, qui gère des fonds d’investissement privé dans le domaine immobilier international, est de toutes les tribunes depuis qu’il a acquis la conviction que ses nombreux problèmes de santé sont liés aux émissions de métaux lourds de la fonderie (voir encadré).

Dany Bonapace est d’avis que seuls les tribunaux peuvent réussir là où le gouvernement a échoué et imposer à la fonderie de réduire ses émissions au niveau prévu par la réglementation québécoise.

Plusieurs options sont possibles, détaille-t-il, citant par exemple une injonction pour faire cesser les activités de l’entreprise « tant que le problème ne sera pas réglé ».

Pour y parvenir, il faut d’abord démontrer « hors de tout doute » que les gens de Rouyn-Noranda sont malades en faisant passer un test capillaire à toute la population. Puis mesurer la présence dans l’air de tous les métaux lourds, et pas seulement l’arsenic, propose-t-il.

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Dany Bonapace s’exprimant lors de l’assemblée citoyenne à Rouyn-Noranda, le 6 juillet

Appel aux entreprises citoyennes et aux gens fortunés

Dany Bonapace voudrait que la Ville de Rouyn-Noranda paie les tests et les appareils de mesure de la qualité de l’air, à défaut de quoi il appelle la communauté à se mobiliser.

« Ce serait un beau message qu’une entreprise qui a 150 employés décide de monitorer la qualité de l’air [dans son secteur] et de payer les tests capillaires à ses employés et à leur famille », illustre-t-il.

Il se dit lui-même prêt à payer les tests de 200 familles.

« Les citoyens corporatifs sont capables de faire ça. »

Les familles fortunées de la ville pourraient aussi pousser à la roue, suggère-t-il.

Rouyn-Noranda enverrait ainsi le message que la ville est une communauté dynamique qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, croit Dany Bonapace.

« On aura réglé le plus gros problème qu’on n’aura jamais eu », dit-il.

Avant une action collective

Les citoyens de Rouyn-Noranda pourraient aussi envisager une action collective ; l’organisation écologiste Mères au front a d’ailleurs indiqué lors de l’assemblée citoyenne de la semaine dernière avoir été pressentie à ce sujet par une étudiante en droit.

Ce serait toutefois une mauvaise idée dans l’immédiat, a réagi l’avocat à la retraite Marc Lemay, qui a été le député fédéral de la région de 2004 à 2011, qui assistait aussi à cette assemblée.

« Dès l’instant où l’on s’adresse aux tribunaux […], vous n’aurez plus aucune information, explique-t-il, les gens vont dire : “Les tribunaux sont saisis de cette affaire, nous ne ferons pas de commentaire.” »

Vous allez mettre un bouchon sur la marmite.

Marc Lemay, avocat à la retraite, au sujet d’une éventuelle action collective

Loin d’être opposé à l’idée d’une action collective, Marc Lemay estime qu’il faut plutôt continuer de documenter les liens entre les émissions de métaux lourds de la fonderie et les problèmes de santé des gens.

En ce sens, il voit d’un bon œil la démarche proposée par Dany Bonapace.

« Ça, ce n’est pas mauvais, mettez-en pas mal ! lance-t-il. Ça prend une prépondérance de preuve. »

« Toute ma vie, mon corps m’a fait mal »

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Dany Bonapace

« Toute ma vie, mon corps m’a fait mal », raconte Dany Bonapace. Au point, parfois, de ne pas dormir la nuit et de ne pas terminer ses journées de travail, confie l’homme d’affaires de 51 ans, qui reçoit La Presse à sa résidence située en périphérie de Rouyn-Noranda, où sa conjointe et lui recueillent des animaux blessés ou malades. Ses problèmes ne sont pas récents : à l’âge de 13 ans, il a perdu la quasi-totalité de ses cheveux en six mois, se souvient-il.

Après avoir « fait le tour » des possibilités que lui offraient les systèmes de santé public et privé québécois pour trouver la cause de ses maux, Dany Bonapace s’est tourné à la fin de 2021 vers une clinique spécialisée du Texas, qui lui a fait passer une batterie de tests dont les résultats l’ont pétrifié. « Sur 30 c**** de métaux lourds, j’en avais 15 à “high”, lance-t-il. Il y en avait là-dedans [pour lesquels] j’avais cinq à huit fois la dose maximale. » Un traitement a mené à une amélioration « phénoménale » de son état de santé, mais il faut régler le problème à la source, martèle-t-il, convaincu qu’il n’est pas le seul dans sa situation. « Ce n’est pas juste moi, c’est un problème de santé publique. »

En savoir plus
  • 1032 ng/m3
    Concentration annuelle moyenne d’arsenic dans l’air aux abords de la Fonderie Horne en 2000
    Source : ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques
    138 ng/g
    Concentration d’arsenic unguéal chez les adultes du quartier Notre-Dame de Rouyn-Noranda, voisin de la Fonderie Horne, contre 33 ng/g pour la population non exposée d’Amos
    SOURCE : Direction de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue