Québec menace l’avenir de la production de sirop d’érable avec sa nouvelle stratégie de production de bois, qui n’en a que pour l’industrie ligneuse, dénonce l’association des acériculteurs de la province.

« On ne retrouve pas la place de l’acériculture là-dedans », s’indigne Simon Trépanier, directeur général des Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ), en entrevue avec La Presse.

La Stratégie nationale de production de bois annoncée mercredi par le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, prévoit de doubler les récoltes de bois d’ici 2080.

Le document ne mentionne pas une seule fois les mots « érable » ou « acériculture », s’insurgent les PPAQ, qui dénoncent l’influence du « très fort lobby » de la production ligneuse sur le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP).

« Nous, on n’a pas une très grande écoute au Ministère », déplore Simon Trépanier.

Les PPAQ reprochent à Québec de miser sur les coupes tous azimuts pour « fournir en bois de qualité les usines de sciage qui manquent visiblement d’approvisionnement » au détriment d’une « conservation du capital forestier sur le long terme ».

Il n’y a pas d’effort pour conserver le potentiel acéricole, ni pour régénérer les arbres à maturité.

Extrait du communiqué des Producteurs et productrices acéricoles du Québec

L’industrie du sirop d’érable représente 12 000 emplois dans la province et compte pour 750 millions de dollars dans le produit intérieur brut canadien ; environ la moitié des quelque 7400 entreprises acéricoles du Québec sont situées en territoire public.

Potentiel de croissance menacé

L’industrie québécoise du sirop d’érable, qui représente 72 % de la production mondiale, a le vent dans les voiles et pourrait doubler sa production d’ici 2080, affirme Simon Trépanier.

L’année 2020 a d’ailleurs été « exceptionnelle » pour la production de sirop d’érable, malgré la pandémie, avec une augmentation de 22 % des exportations.

Or, la moitié du potentiel de croissance se trouve en forêt publique, explique M. Trépanier. « Il faut faire en sorte que le potentiel acéricole ne soit pas anéanti [par la stratégie de production de bois de Québec]. »

Les PPAQ qualifient d’ailleurs cette stratégie de vision « à très court terme qui hypothèque dangereusement le futur de nos forêts feuillues ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Trépanier, directeur général des Producteurs et productrices acéricoles du Québec

On veut des aménagements forestiers en phase avec le développement de l’industrie acéricole.

Simon Trépanier, directeur général des Producteurs et productrices acéricoles du Québec, qui précise ne pas être opposé aux coupes forestières

Mais Québec doit favoriser une cohabitation entre les différents usagers de la forêt, plaide-t-il, un commentaire qui fait échos à ceux des villégiateurs qui dénoncent aussi la mainmise de l’industrie ligneuse sur la forêt publique.

Critiques de la vérificatrice générale

Québec doit démontrer que sa stratégie de production de bois permet d’éviter les échecs passés, martèlent les PPAQ, rappelant les critiques de la vérificatrice générale du Québec, qui concluait en 2017 que « le MFFP ne sait pas si les investissements sylvicoles des dernières décennies ont donné les résultats escomptés ».

L’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec a aussi exprimé cette préoccupation au lendemain de l’annonce de la stratégie forestière de Québec.

Les ingénieurs forestiers Marie-Ève Desmarais et Louis Bélanger ont affirmé dans les pages Débats de La Presse, jeudi, que le gouvernement devait « démontrer l’efficacité des scénarios sylvicoles envisagés » pour s’assurer « que tous ces milliards seront bien dépensés ».

(Re)lisez « Stratégie nationale de production de bois : l’argent public sera-t-il bien dépensé ? »

C’est pourquoi ils estiment nécessaire « qu’une conversation publique se tienne en dehors des officines ministérielles » sur le sujet, par l’entremise d’une évaluation environnementale du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.

L’attaché de presse du ministre Pierre Dufour, Vincent Bolduc, a déclaré dans un courriel à La Presse que « les autres ressources forestières ou créatrices de richesse à partir des forêts ne sont pas mises de côté puisqu’elles sont prises en compte dans le cadre de la Stratégie d’aménagement durable des forêts ».