Un taux d'échec qui frôle les 40 % dans la région de Montréal à l'examen final de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), des écoles au rabais avec un seul employé-propriétaire qui fait tout et des apprentis conducteurs qui apprennent très mal à conduire.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'industrie des leçons de conduite, tant à Montréal, à Laval qu'à Longueuil, est en déroute, à la lumière des chiffres relayés et du portrait d'ensemble brossé par l'Association des écoles de conduite du Québec (AECQ).

« Ça ne va pas très bien dans notre industrie, et je dirais même que c'est le far west », résume Marc Thompson, directeur général de l'AECQ, en entrevue avec La Presse.

« On ne peut se satisfaire d'un taux de réussite d'un peu plus de 60 % dans la région de Montréal [ce taux est de 87 % à Trois-Rivières et de 79 % à Sorel, selon les chiffres obtenus par La Presse provenant de la SAAQ]. Ça signifie qu'un trop grand nombre de petites écoles qui ont pignon sur rue, dans certains coins de la ville, n'ont pas les compétences requises pour enseigner la conduite automobile. Il en va pourtant de la sécurité des futurs automobilistes », ajoute-t-il.

Il montre du doigt l'Association québécoise des transports (AQTR) et la SAAQ pour ce qu'il considère comme une « absence de suivi et d'encadrement » dans cette industrie où, précise-t-il, « on accorde des permis sans rien vérifier ».

« Depuis huit ans, fait-il valoir, le nombre d'écoles a presque doublé. C'est beaucoup trop d'écoles pour un aussi petit marché. »

Il y avait 382 écoles il y a 8 ans et 632 en 2017, selon les chiffres fournis par la SAAQ. À l'heure actuelle, le nombre est de 610 au Québec et de 170 à Montréal.

Il ajoute, cynique : « On se retrouve avec des "entrepreneurs" qui s'achètent une job en ouvrant une école, moyennant un permis payé 7000 $. Et ces écoles vendent des cours pour aussi peu que 499 $ pour attirer la clientèle, en plus de payer très mal leurs moniteurs, souvent au noir. »

MANQUE DE SURVEILLANCE

Sans affirmer que l'industrie montréalaise des cours de conduite est gangrenée de l'intérieur, Marc Thompson concède qu'il y a « de nombreux cas » de délinquance qui ne sont « pas suffisamment punis ».

Selon lui, certaines écoles accordent même des attestations à des élèves qui ont suivi « en partie » le cours théorique et pratique qui s'échelonne normalement sur une année.

« On demande au gouvernement de nous aider à régler ce problème éthique, dit-il, mais rien ne bouge. On a un problème d'image, à cause des petites écoles qui prolifèrent dans certains coins de la ville, et ça nuit à la réputation des bonnes écoles. »

LA SÉCURITÉ EN QUESTION

Il n'est pas le seul à dénoncer l'absence d'encadrement et les « pratiques questionnables » de ces nombreuses écoles « autonomes » ne faisant pas partie de l'Association.

« Ça se dit, ça se parle beaucoup dans notre industrie », relève Mylène Sévigny, directrice générale chez Tecnic, un regroupement de franchisés qui compte 140 écoles, avec 45 % du marché au Québec. « On parle de moniteurs qui ne sont pas certifiés, qui travaillent le week-end pour éviter les contrôles... C'est certain que la qualité des cours est mise en cause. »

Elle ajoute : « On demande au gouvernement d'agir, parce que le problème est sérieux, et que ça ne cesse de se détériorer. On les voit, ces écoles qui ouvrent leurs portes et qui proposent des tarifs à moins de 500 $. Ça ne se peut pas, former des apprentis conducteurs avec un tarif aussi bas. »

DES PROPRIÉTAIRES INQUIETS

« Il y a des écoles qui jouent avec la sécurité de leurs élèves. Les cours sont donnés tout croche. Parfois, on leur signe une attestation et ils vont passer leurs examens sans même avoir pris le volant ! », s'indigne Annie Mehtap Yetim, propriétaire depuis 2007 de l'école de conduite Oméga, boulevard Saint-Michel.

Elle qualifie de « catastrophique » la qualité de l'enseignement « dans trop d'écoles de la région de Montréal ». « Je ne voudrais pas que mon adolescent aille suivre des cours de conduite dans ces écoles-là ! », lance-t-elle, cynique.

Sur son territoire, elle a compté pas moins de sept écoles de conduite sur une distance de 1 km. « Je suis encerclée par ces petites écoles qui font travailler leurs employés au salaire minimum », observe-t-elle.

« Très souvent, le propriétaire de l'école est à la fois l'administrateur, la secrétaire et le moniteur qui donne des cours ! » - Annie Mehtap Yetim

La propriétaire de l'école de 15 employés, avec 5 autos, aimerait que des gestes concrets soient faits pour obliger ces écoles à se conformer, « ou à fermer leurs portes ».

« Ce n'est pas normal qu'on laisse des élèves à eux-mêmes, soumet-elle. Ça fait plus de 10 ans que je suis dans cette industrie et ça n'a jamais été aussi pire. Des moniteurs jasent au cellulaire tandis que l'élève conduit, il écourte la durée de son cours de 45 minutes sans se justifier, pour aller se chercher un café au Tim Hortons ou se rendre au dépanneur tandis que l'élève attend dans l'auto. »

Rien d'étonnant, fait-elle valoir, que le taux d'échec soit « aussi élevé » dans la région de Montréal, où le problème est plus criant. « Les élèves arrivent à leur examen sans préparation, ou bien on ne leur a pas montré à tourner à droite et à gauche comme il faut. C'est aussi simple que cela ! »

RELEVER LES TARIFS

Mais voilà, pour ne pas fermer leurs portes, les écoles de conduite « réduisent les tarifs » exigés aux apprentis conducteurs. Le plafond fixé par le gouvernement est de 825 $, mais à Montréal, la moyenne est plutôt de 600 $, « et il y a beaucoup d'écoles qui s'annoncent à 499 $, ce qui est tout à fait ridicule », précise Marc Thompson, directeur général de l'AECQ. Le gouvernement Couillard vient d'indiquer son intention d'indexer le tarif plafond.

« Il est certain que des propriétaires d'écoles se livrent des guerres de prix pour attirer des clients, relève pour sa part Jean-Claude Baldacchino, propriétaire de l'entreprise Drive and Go. On sait aussi qu'il manque de moniteurs et, là encore, c'est un problème. » Il a lui-même racheté une entreprise de l'avenue du Parc qui était fortement déficitaire, il y a près de trois ans.

« Il faudrait que le gouvernement accepte de relever le prix plafond pour nous permettre de souffler, dit-il. À ce tarif, c'est difficile de faire des profits. » Il fait valoir qu'en Colombie-Britannique, le tarif se situe à 1200 $. 

Même son de cloche de la part de Syful Patwary, propriétaire de l'école de conduite Transit, dans l'arrondissement de LaSalle. « Ce n'est pas un hasard si ça va si mal dans notre secteur, indique le propriétaire de 12 écoles. On se bat contre des écoles qui ne respectent rien, c'est n'importe quoi, n'importe comment ! »

Il constate que des élèves vont dans des écoles « sans qualifications » pour payer moins cher, avec des moniteurs qui « ne leur apprennent rien ».

« Tant qu'on ne fera pas un effort, au gouvernement, pour assainir notre industrie, il est clair que les élèves vont échouer à leurs cours », conclut-il.

LA POSITION DE LA SAAQ

Précisons, par ailleurs, que l'Association québécoise des transports, visée par les critiques de l'industrie, a transmis notre demande d'entrevue à la SAAQ, qui a limité ses commentaires à ceci.

« Les positions [de l'Association des écoles de conduite] sont connues, a répondu le porte-parole Gino Desrosiers. Il y a des travaux de réflexion en cours, mais nous ne sommes pas en mesure d'annoncer quoi que ce soit. »

Sur la question touchant « le trop grand nombre d'écoles », selon l'Association, le porte-parole dit vouloir comprendre « quels sont les arguments » invoqués. 

Au bureau du ministre des Transports André Fortin, l'attachée de presse Marie-Pier Richard a déclaré, dans un courriel, « qu'au-delà de l'indexation [du prix plafond de 825 $], la Société de l'assurance automobile du Québec poursuit sa collaboration avec les écoles de conduite et veillera à mener plus loin avec elles sa réflexion quant aux différents aspects du modèle d'affaires et à l'encadrement des écoles de conduite du Québec ».

FACILE D'OUVRIR UNE ÉCOLE

Ouvrir une école de conduite au Québec est une chose relativement facile. On fait une demande de permis à l'Association québécoise des transports. Le permis coûte 7000 $. On vous demande d'avoir un bureau et un dossier personnel sans tache. Il faut ensuite acheter une automobile, neuve ou d'occasion, et vous pouvez vous lancer. Le coût de départ est d'environ 20 000 $, pour une entreprise avec une seule voiture. Pour deux, c'est le double. Un très grand nombre d'écoles de conduite comptent un seul employé, surtout dans la région de Montréal.