Manque de formation des enquêteurs et de supervision des enquêtes: le rapport de la Commission Chamberland dénote certaines lacunes dans les enquêtes policières ayant mené à l'espionnage de journalistes et recommande en conséquence une loi pour protéger les sources journalistiques.

Bien que ces enquêtes se soient «déroulées dans le respect du cadre législatif en vigueur», certains moyens d'enquête «soulèvent des questionnements», lit-on dans le rapport déposé ce matin.

Ainsi, la vérification des registres téléphoniques des journalistes avant ceux des policiers visés dans une enquête pose problème, notent les commissaires, qui déplorent un «manque de sensibilité, de connaissances et de précautions» de la part des enquêteurs. 

«[Il est] particulièrement préoccupant quand il s'agit du travail des journalistes dans la collecte de l'information et de la protection de leurs sources d'information», écrivent les commissaires.

La situation était «particulièrement problématique» au Service de police de la Ville de Montréal (SVPM), note le rapport. «La supervision était au mieux sporadique, au pire inexistante. Dans la grande majorité des cas, les enquêteurs étaient laissés à eux-mêmes et avaient l'entière discrétion dans le choix des moyens d'enquête», lit-on.

Le rapport recommande en conséquence l'adoption par Québec d'une «loi-parapluie» qui assurerait la protection du matériel et des sources journalistiques, à l'image de la Loi sur la protection des sources journalistiques adoptée par Ottawa.

Cette loi, écrivent-ils, devrait proposer une règle simple: «le journaliste a le droit de se taire». 

Les corps policiers doivent pouvoir dire non aux élus

Bien que rien ne permette de conclure à une ingérence politique dans les enquêtes policières ayant mené à l'espionnage de journalistes, l'indépendance des corps policiers doit être réaffirmée dans la loi, recommande également la Commission Chamberland.

En décembre 2014, l'ex-maire de Montréal Denis Coderre avait téléphoné directement au directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour l'informer de son mécontentement à la suite d'une fuite policière dans les médias. Ces fuites avaient par la suite été l'objet d'enquêtes au SPVM, dans le cadre desquelles les données de journalistes avaient été obtenues.

Bien qu'il n'existe pas de «preuve concluante» qui permette de dire qu'un élu est intervenu dans le déclenchement ou le déroulement d'une enquête criminelle, «les perceptions importent tout autant que la réalité», notent les commissaires.

«On ne peut plus se contenter de répéter "proximité ne veut pas dire ingérence". [...] il faut pousser la réflexion plus loin», écrivent-ils, citant le témoignage de l'ancien maire de Montréal fait devant la Commission ce printemps.

«Même animé des meilleures intentions, un maire ou un ministre, en raison de la position qu'il occupe, peut insuffler une direction à une enquête lorsqu'il formule une simple demande d'information ou exprime un commentaire au directeur du corps de police», précise le rapport de la Commission Chamberland.

En conséquence, les commissaires recommandent à Québec d'adopter des mesures législatives qui encadreraient le rapport entre les élus et les corps de police. 

Parce qu'il est parfois «difficile [...] de tracer une ligne claire entre les orientations et les opérations» des corps policiers, la Commission Chamberland estime en outre qu'il est du devoir des élus de bien définir ces orientations.

Les journalistes jubilent

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec s'est dite extrêmement satisfaite de la force des recommandations de la Commission Chamberland.

«On ne s'attendait pas à ce qu'elle aille aussi loin dans ses recommandations et ça va répond pratiquement à l'ensemble de nos demandes», a indiqué Stéphane Giroux, président de l'organisation. «On considère que le juge Chamberland et les deux commissaires ont parfaitement compris les enjeux qui touchaient les menaces à la liberté de presse.»

La proposition de loi provinciale sur la protection des sources et du matériel journalistique est particulièrement réjouissante, selon lui. 

M. Giroux a indiqué que la FPJQ se mettrait au travail dès janvier pour convaincre le gouvernement Couillard de donner suite à ces recommandations. «On s'attend à ce qu'il y ait de l'opposition. Les corps policiers - veut, veut pas - sont quand même écorchés d'une certaine manière», a-t-il continué.

À la Sûreté du Québec, la direction dit vouloir travailler avec le ministère de la Sécurité publique sur les recommandations du rapport. «Mais nos pratiques ont déjà changé, affirme l'inspecteur Guy Lapointe. En 2016, le directeur général avait envoyé une directive qui ordonnait que dorénavant, chaque demande pour une enquête sur un représentant des médias lui soit soumise pour approbation avant de procéder. Cette directive tient toujours. Si jamais une autorisation judiciaire est obtenue, les responsables des communications travailleront étroitement avec les enquêtes pour suivre la chose.»

- Avec la collaboration de Philippe Teisceira-Lessard et Vincent Larouche

***

La Commission Chamberland en bref

34 jours d'audience

74 témoins entendus

300 documents déposés en preuve

14 mémoires déposés