Régis Labeaume ne le cache pas : il a commencé sa carrière à la mairie en s'opposant à un projet de tramway pour Québec. C'était il y a dix ans.

Mais voilà que pour gagner les élections du 5 novembre, le maire sortant mise justement sur un projet de transports en commun «structurant» qui fait déjà rager certains animateurs de radio et suscite le doute chez une bonne partie de l'électorat.

Il parle de verdissement, de densité, de mobilité... Ce programme est son «plus progressiste» à ce jour, promet le politicien de 61 ans. En briguant un quatrième mandat, le candidat Labeaume prend un pari électoral osé, peut-être son plus grand risque depuis son entrée fracassante en politique municipale il y a une décennie.

«Je me sens comme un devoir de livrer le transport collectif. Après dix ans, avec les scores que j'ai eus aux élections, si moi je le fais pas... Je pense que c'est ma responsabilité. Je pourrais ne pas en parler et ça irait super, mon élection. Y aurait pas de souci», affirme M. Labeaume.

Vendredi en fin d'après-midi, le soleil baisse sur la capitale et Régis Labeaume dénoue son noeud de cravate. «Ouais, ç'a été une pas pire de journée.»

Le matin, il a lancé sa campagne. Devant une foule de journalistes, il a martelé ses priorités : l'amélioration de la qualité de vie à Québec et la mise en oeuvre d'«un système de transports collectifs structurant».

Son principal rival dans la course à la mairie dénonce déjà une prétendue «guerre à l'automobile à Québec». Jean-François Gosselin - le «candidat des radios» comme le titrait Le Journal de Québec - entend faire de la construction d'un troisième lien un cheval de bataille. Il veut davantage de routes, donc.

«Je n'ai rien à dire sur lui. Pose-moi pas de questions sur lui, j'ai rien, rien à dire», répond crânement le maire sortant en entrevue avec La Presse, dans un bureau lumineux de l'hôtel de ville.

Lors de son premier mandat, en 2007, M. Labeaume s'était illustré en menant rondement les célébrations du 400e anniversaire. Quatre ans plus tard, il avait fait campagne pour un nouvel amphithéâtre et obtenu 200 millions de Québec pour le faire. Puis, en 2013, il a promis de sabrer le régime de retraite des cols bleus, ce qu'il a fait.

Mais cette fois-ci, le maire sortant de Québec fait le pari de miser toutes ses billes sur un important projet de transports en commun dans une ville qui, par moments, ne semble pas en vouloir.

«Je ne me pose plus la question de savoir si c'est rentable politiquement. Je sais juste qu'il faut le faire, explique M. Labeaume. Si on attend juste que ce soit rentable politiquement, on ne bougera pas. Mon devoir est de convaincre la population qu'il faut qu'on le fasse.»

Son plus grand revers en carrière



Régis Labeaume a subi ce qu'il décrit comme le plus grand revers de sa carrière le printemps dernier. Son projet de Service rapide par bus (SRB) s'est effondré quand le maire de Lévis, partenaire de l'aventure, a claqué la porte. Gilles Lehouillier trouve désormais que les millions seraient mieux investis dans de nouvelles routes, soit un «troisième lien» pour relier Lévis et Québec.

«C'est tout un échec qu'on a connu. On dira ce qu'on voudra, j'ai trouvé ça dur. Ç'a été mon plus gros échec depuis que je suis en politique. Mais il fallait redémarrer la machine et je trouve qu'on l'a bien repartie.»

Les mauvaises langues avancent que M. Labeaume a tout même été malin après son revers. Juste avant le déclenchement des élections, il a lancé des consultations pour déterminer le type de transports en commun «structurant» dont la ville aurait besoin : un système d'autobus rapide, un tramway, un métro, même...

Mais la décision viendra après les élections. Cette tactique l'assure de ne devoir répondre à aucune question précise sur son projet durant la campagne : « Ils vont me demander de parler de bus ou de tramway, mais on ne sait pas encore ce que ce sera ! »

Certains se questionnent aussi sur le changement de cap du maire sortant. Il s'était notamment fait élire une première fois en 2007 en s'opposant à un projet de tramway.

Bilan mitigé

« Jusqu'à maintenant, si on évaluait les résultats que Régis Labeaume a obtenus sur les transports en commun, ce serait difficile de lui donner une très, très bonne note, honnêtement », juge Étienne Grandmont, directeur général d'Accès transports viables, organisme de la capitale qui milite pour des solutions de rechange à l'automobile.

Il rappelle que M. Labeaume est en place depuis 2007 et qu'aucun projet majeur de transports en commun n'a été réalisé. Étienne Grandmont note que cette consultation sera la troisième à ce sujet en dix ans.

« Pendant des années, l'administration Labeaume n'a pas parlé du projet de SRB Québec-Lévis et ils ont laissé toute la place aux détracteurs du projet, estime M. Grandmont. Dans les détracteurs, il y a les radios, qui ont de gros porte-voix et qui s'opposent farouchement à tout projet structurant de transports en commun. Mais ils sont tout à fait d'accord pour investir dans des projets structurants pour l'automobile. C'est bien étrange... »

Régis Labeaume ne se défile pas devant ces critiques. Vrai, la communication autour du SRB n'a pas été optimale. Mais il argue que c'est parce qu'il ne voulait pas effaroucher son partenaire, le maire de Lévis, qui montrait des signes de doute quant au projet. Ce dernier s'en est finalement retiré en avril dernier, signant son arrêt de mort.

Quant à ses débuts en politique municipale, Régis Labeaume l'admet d'emblée : il ne voyait pas encore l'importance des transports en commun. «Oui, j'ai changé au sujet du transport en commun. On est rendus là. Ça fait dix ans que je suis maire. Québec a beaucoup changé en dix ans. Il y a 100 000 véhicules de plus en ville. Il y a dix ans, il n'y avait pas le trafic qu'il y a là.»

Son grand défi, c'est maintenant de convaincre les électeurs. Au printemps, un sondage commandé par Le Journal de Québec démontrait que l'appui au SRB était passé de 74 à 49% en à peine six mois.

Mais le maire sortant n'en fait pas une question de simple politique. Il dit croire dans un projet de transports en commun et veut en faire l'un de ses principaux legs.

De passage à Montréal cette semaine, il a rencontré des étudiants de Polytechnique pour les convaincre de choisir sa ville. «La moitié trouvaient que l'auto était une dépense inutile. Il faut les écouter et leur offrir une vraie solution de rechange, dit-il. Et il y a aussi des gens démunis à Québec, ou des travailleurs qui ne font pas 45 $ de l'heure et ne peuvent pas se payer une auto. Il y a une question d'équité.»

M. Labeaume pense même pouvoir faire financer son projet en entier par les deux ordres de gouvernement. Les libéraux fédéraux ont réservé aux transports en commun une somme de 20,1 milliards pour les 11 prochaines années.

«Là, on a la chance de se faire payer un projet de transport en commun. Si on laisse passer cette occasion-là, on va avoir un très, très gros problème, parce qu'elle ne va pas se représenter. Alors moi, je sens que c'est ma job de faire ça.»