Des centaines de Québécois, incertains hier encore de pouvoir fuir l'ouragan Irma avant qu'il ne touche le secteur de Cuba où ils se situaient, sont finalement de retour chez eux. Les arrivées internationales de l'aéroport Pierre-Elliott Trudeau ont été le théâtre de retrouvailles émotives samedi, alors que de nombreux rescapés gardaient également à l'esprit tous ceux encore sur place.

Pancartes à la main, Marco Aloia et ses proches attendaient cet après-midi le retour des parents, de l'oncle et de la tante du jeune homme, évacué d'urgence de Cayo Santa Maria, une petite île de l'archipel cubain Jardines del Rey. « Welcome home. #escapedirma », pouvait-on lire sur les affiches qu'ils brandissaient avec amusement. Après plus d'une heure d'attente, les quatre rescapés ont enfin apparu, tout juste débarqués du vol de secours de la compagnie aérienne Sunwing. La pression s'est relâchée, Marco a fondu en larmes à la vue de sa famille.

« Je suis tellement heureuse d'être ici », a lâché sa mère, Nella Malacria, elle aussi le visage strié de larmes. Alors qu'ils devaient passer une autre semaine à Cuba, Irma les a brusquement chassés de l'île et leur a surtout fait craindre pour leurs vies. « Je croyais que j'allais mourir là-bas. »

Les larmes aux yeux, Ginette Gemme raconte elle aussi le périple qu'elle et son époux, Benoît Labaie, ont traversé ces derniers jours. Un long trajet d'autobus jusqu'à Varadero durant lequel un accident impliquant trois des 14 véhicules du cortège a ralenti le déplacement. Une longue attente dans un hôtel de la station balnéaire, sans que beaucoup d'informations ne leur soient communiquées. Finalement, le départ tant attendu. « L'important c'est qu'on soit vivant », relativise-t-elle. 

Ceux laissés derrière

« Je n'ai jamais été aussi contente d'être à Montréal », s'est exclamée Chrysta Percy, une autre vacancière évacuée. Son mari, ses deux jeunes garçons et elle, sitôt arrivés à Cuba, ont dû couper court à leurs vacances. C'est sans regret, ou presque, qu'ils ont laissé derrière eux l'ouragan Irma, comme des milliers d'autres Québécois qui ont fui l'île de 11 millions d'habitants ces derniers jours. Mais c'est avec amertume et chagrin qu'elle pense aux personnes toujours sur place, racontant que le personnel de l'hôtel préparait des abris pour protéger tous ceux qui n'ont pas pu fuir, au moment de leur départ.

« On prenait le dernier avion et il y a beaucoup de gens qui sont restés là-bas », a lâché Ginette Gemme, secouée par les émotions. « Il restait plein de monde derrière, il restait des familles », a ajouté Marie-Claude Alain. Son mari, leurs deux enfants en bas âge et elle sont montés « de justesse » dans le dernier vol en provenance de Cuba de la journée. « On a eu de la chance, plusieurs Québécois attendent encore du secours », a soufflé la jeune femme, soulagée d'être enfin chez elle, après un vol d'environ quatre heures, mais surtout trois jours de chaos. 

Sunwing a indiqué à La Presse avoir évacué prioritairement les voyageurs se trouvant dans les îles Cayos, zone sous avis d'ouragan. Pas moins de 17 vols de secours ont été dépêchés à Cuba pour aller chercher le plus de monde possible, mais l'aéroport de Varadero ayant été fermé par les autorités cubaines, les plans d'évacuation de la compagnie aérienne ont été chamboulés, selon une déclaration émise hier. Deux vols censés atterrir samedi après-midi à Montréal ont ainsi été cloués au sol, à La Havane et à Varadero.

Adèle Lafrenière faisait le pied de grue pour la deuxième fois en trois jours à l'aéroport, scrutant le couloir des arrivées à la recherche de sa fille de 21 ans. « Je pensais que son vol serait celui d'avant-hier, c'est ce que l'aéroport disait et je n'ai pas pu parler [à ma fille] », a-t-elle raconté, étonnée de voir que le vol en provenance de Varadero dont l'arrivée était prévue pour 14h15 aujourd'hui ne figurait tout à coup plus sur le tableau d'affichage. La Presse a dû l'informer que l'avion n'arriverait pas, puisqu'il n'avait jamais pu décoller.

Ambivalence quant au service de Sunwing

D'après Mme Gemme et M. Labaie, la communication avec leur compagnie aérienne, Sunwing, n'était « pas idéale » sur place, ce qu'a également constaté Crysta Percy, qui raconte que « ce n'était pas encore une émeute », mais que « les gens poussaient pour tenter de partir de là-bas. » Visiblement en colère, la jeune femme déplore avoir dû attendre jusqu'à « la toute dernière seconde » avant d'être mise au courant du fait que sa famille et elle pourraient évacuer l'île samedi. « Ils ont géré ça de manière très irresponsable, a-t-elle dit. On s'informait à travers les nouvelles, on savait qu'on était dans une situation dangereuse, mais ils [les représentants Sunwing] minimisaient la chose. » Sunwing a été vivement critiquée ces derniers jours par rapport à son plan d'évacuation.

Pour Carmen Lapointe cependant, le service a été remarquable. « Ils ont fait une très belle job, ils ont gardé leur sang-froid et calmaient les gens », a-t-elle expliqué. Son mari, Langis Quevillon a décrit le revirement drastique de météo, sur place. Alors que le soleil brillait encore vendredi, c'est sous les forts vents et la pluie qu'ils ont quitté la petite île touristique. « La pluie rentrait jusqu'à dans le lobby de l'hôtel, a raconté l'homme. Ça commençait. »

Séparé de sa conjointe

N'ayant pas pu prendre le même avion pour se rendre sur la petite île, il a été impossible pour Séphane Gagnon et sa conjointe, Lucy Simard, de rentrer ensemble au Québec. Un cauchemar pour l'homme, évacué le premier. « Ils ont joué à la roulette russe avec nous, a accusé M. Simard. C'est comme si on m'avait mis un gun sur la tempe et qu'on me disait que j'ai pas le choix, que je dois la laisser et m'en aller avant. »  

Il raconte avoir tout tenté pour ne pas avoir a abandonner sa femme, incertain de la possibilité pour elle de fuir l'ouragan. « J'ai essayé de la faire partir à ma place, ils n'ont pas voulu », a-t-il décrit. Sunwing a « travaillé fort » pour trouver un vol sur lequel Mme Simard a pu embarquer. Le dernier de la journée de samedi, alors que l'ouragan devrait s'abattre dimanche à l'endroit même où il se trouvait 24 heures plus tôt. 

Un bouquet de fleurs à la main, il attendait fiévreusement que sa femme arrive enfin, racontant l'air distrait qu'il n'aurait jamais dû partir sans elle. « L'affaire qui a été dure, c'est que dans mon vol, finalement, il y avait des places de vide. » Puis, son regard soudain rempli de larmes, il s'est interrompu en cours de phrase. « Je la vois. » Sans un mot de plus, il s'est dirigé avec hâte vers sa femme qu'il a longuement étreinte au beau milieu de la zone des arrivées de l'aéroport de Montréal.