À la question «Combien de ministres faut-il pour agrandir un parc national?», la réponse, à en juger par le dossier de l'agrandissement du parc du Mont-Orford, est: «au moins six.»

Cela fait plus de 10 ans, le 6 mars 2006 très exactement, que le regretté Claude Béchard, fraîchement nommé à la tête de ce qui s'appelait alors le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, a annoncé son intention de doubler la superficie de ce parc créé en 1938.

L'agrandissement était la contrepartie d'une privatisation partielle. Le gouvernement libéral de Jean Charest souhaitait soustraire la station de ski et le terrain de golf du périmètre du parc et les vendre à un promoteur qui aurait assuré la rentabilité des installations en construisant un complexe immobilier au pied des pentes.

Une mobilisation sans précédent d'opposants venus de tous les horizons - du chanteur Richard Séguin à l'ancien président du Parti libéral Robert Benoit - n'a pas empêché le projet de loi d'être adopté sous le bâillon, trois mois plus tard.

Mais devant la grogne qui ne montrait aucun signe de vouloir s'éteindre, le gouvernement a fait volte-face l'année suivante : exit la privatisation. La station de ski et le golf sont revenus dans le giron public et sont administrés depuis 2011 par un organisme sans but lucratif créé par la MRC de Memphrémagog.

Un processus qui s'étire

Le projet d'agrandissement, lui, a continué son petit bonhomme de chemin. Un chemin visiblement long et peu fréquenté : une décennie plus tard, le processus d'acquisition des terrains n'est toujours pas terminé et personne au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) ne semble avoir la moindre idée du moment où la nouvelle section du parc accueillera finalement ses premiers visiteurs.

«Il n'y a rien de vraiment nouveau. Les négociations sont en cours. C'est un long processus, c'est certain.» - Jacques Nadeau, porte-parole du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs

En fait, depuis quelques années, les manchettes de la presse régionale sont dignes du jour de la marmotte.

Juin 2013, Radio-Canada: «On espère avoir finalisé ces acquisitions fin 2013», dit Serge Alain, directeur du Service des parcs au ministère du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs.

Janvier 2014: le parc «pourrait être agrandi dans la seconde moitié de 2014», toujours selon M. Alain, cité par La Tribune de Sherbrooke.

Septembre 2014: La Tribune cite l'attaché de presse du ministre Laurent Lessard, qui affirme que «l'analyse du dossier est imminente», une question de «semaines», selon lui.

Mars 2015: «Les délais s'allongent», titre le quotidien sherbrookois, constatant l'évidence.

Pas d'entente pour deux terrains

Seize mois plus tard, les délais continuent de s'allonger. Au fil des ans, Québec a dépensé 15 millions pour acquérir plus de 4000 hectares de territoire. Mais les propriétaires de deux terrains totalisant 1375 hectares n'ont toujours pas conclu d'entente sur l'indemnisation: Placements Bombardier, holding privé de la célèbre famille (dont les représentants n'ont pas rappelé La Presse), et Station Mont-des-Trois-Lacs, une société immobilière appartenant à un avocat de Sherbrooke, Gilles Fontaine.

Les terrains de Mont-des-Trois-Lacs constituent le chaînon manquant entre le parc actuel et les terrains déjà acquis par Québec pour son extension, plus au nord. L'avis d'expropriation a été signifié il y a six ans déjà. «Ils n'ont pas d'argent, lance M. Fontaine. C'est la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf!»

Selon l'avocat de Station Mont-des-Trois-Lacs, Richard Laflamme, la cause devrait finalement être inscrite au rôle d'audience de la chambre d'expropriation du Tribunal administratif du Québec quelque part cet automne, «s'il n'y a pas de discussion avant». Une entente de gré à gré est en effet toujours possible, à défaut de quoi deux semaines d'audience sont à prévoir, estime l'avocat. En attendant, une indemnité provisionnelle de 1,2 million a déjà été versée pour les 775 hectares de son client.

Biologiste à la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP Québec), Sylvain Archambault convient que le processus d'agrandissement du parc «est très long». Mais il ne s'en offusque pas outre mesure. 

«Ce sont des terrains qu'il est important d'intégrer au parc. Mais ce sont aussi des fonds publics, des gros millions.» - Sylvain Archambault, biologiste, SNAP Québec

«Il faut s'assurer de payer la juste valeur marchande, sinon, on ouvre la porte à ce que n'importe quel promoteur qui possède des terrains ayant une valeur écologique fasse de la surenchère, dit-il. [...] Il ne faut pas payer un montant exorbitant juste pour régler le dossier.»

De son côté, Robert Benoit continue de suivre le dossier. La Coalition SOS Parc Orford existe toujours, souligne l'ancien député d'Orford, qui se dit optimiste de voir l'agrandissement se concrétiser un jour. «J'ai l'impression que ça va finir par se faire. Je ne pense pas que le Dr Couillard va reculer. Si quelqu'un essayait de reculer, le bal repartirait!»

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SIX MINISTRES EN 10 ANS

Claude Béchard (2006-2007)

Line Beauchamp (2007-2010)

Pierre Arcand (2010-2012)

Daniel Breton (2012)

Yves-François Blanchet (2012-2014)

Laurent Lessard (2014 à aujourd'hui)