Deux prestataires de l'aide sociale devront rembourser près de 30 000$ au gouvernement pour avoir bénévolement donné un coup de main à leur fille dans sa petite boulangerie en démarrage pendant deux ans.

Les parents auraient dû réclamer une paie et déclarer celle-ci au ministère de la Solidarité sociale, vient de confirmer le Tribunal administratif du Québec (TAQ), donnant ainsi raison aux fonctionnaires.

Les deux assistés sociaux «se sont privés d'un avantage financier qui aurait dû être pris en considération dans le calcul du montant des prestations auquel ils avaient droit», ont écrit les juges administratifs dans leur décision, le mois dernier. «En aidant leur fille bénévolement sur une longue période, [ils] se sont privés d'une source de revenus.»

Le couple devra donc rembourser 28 281,12$, la somme qu'il aurait pu toucher - selon le ministère - s'il avait été rémunéré entre décembre 2010 et décembre 2012. Il a plaidé, en vain, que sa fille «ne fait aucun profit» avec sa boulangerie, au point qu'elle doit elle-même «travailler à temps [plein] pour un autre employeur».

Selon leur témoignage devant le TAQ, les deux assistés sociaux passaient beaucoup de temps à aider leur fille. Son père y était présent «plus ou moins 42 heures par semaine», alors que sa mère donnait un coup de main «cinq à sept heures, non consécutives, par semaine».

Les deux «étaient informés [du fait] qu'ils devaient déclarer le salaire pour toute heure travaillée, ce qu'ils disent avoir toujours fait antérieurement», rappelle la décision rendue par les juges administratifs Natalie Bibeau et Claude Turpin. «Ils ne croyaient pas qu'ils devaient déclarer le bénévolat effectué pour leur fille.» En raison de cette ignorance, le TAQ a refusé d'ajouter à la réclamation une pénalité de 100$ pour fausse réclamation, comme le demandait le Ministère.

«Absurde»

La situation suscite la colère au sein des mouvements de défense des assistés sociaux.

«Personnellement, en 10 ans de carrière, c'est la première fois que je vois ça», a affirmé Sylvia Bissonnette, du Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec (GRFPQ), qui qualifie la décision d'«absurde». «Je trouve ça assez étonnant que le gouvernement demande de l'argent à des gens qui n'ont pas reçu de rémunération.»

Selon Mme Bissonnette, la somme de la réclamation est extrêmement élevée pour des bénéficiaires de l'aide sociale. «C'est presque 30 000$. Ce n'est pas un petit montant pour des gens qui n'ont pas reçu de revenus, a-t-elle déploré. En plus, si je comprends bien le jugement, la boulangerie n'est pas rentable pour l'instant.»

La coordonnatrice du GRFPQ déplore aussi le fait que ce couple ignorait qu'il se mettait dans une situation délicate en aidant sa fille. «Pour monsieur et madame Tout-le-Monde, c'est difficile à comprendre», toutes les règles qui entourent l'aide sociale.

Le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale n'a pas voulu commenter le dossier. Il va «prendre acte de la décision du TAQ», a affirmé son porte-parole François Lefebvre.

«Le Ministère est chargé d'appliquer la réglementation en vigueur et d'assurer la saine gestion des fonds publics.»

D'autres cas similaires

Ce n'est pas la première fois que le Ministère réclame un remboursement à des assistés sociaux qui aident leurs enfants.

L'an dernier, La Presse avait relevé que le TAQ confirmait qu'une prestataire de l'aide sociale ne pouvait héberger ses enfants majeurs chez elle sans leur réclamer un loyer. Son chèque mensuel a été amputé de 310$, soit le revenu dont la prestataire se privait en accueillant sa fille, «qui traversait des moments difficiles», et son fils.