En 2004, deux professeurs de HEC Montréal ont pris contact avec le cardinal Turcotte pour une demande bien inhabituelle: non pas sonder les mystères de sa foi, mais plutôt ceux de son leadership.

L'étude de l'archevêque de Montréal leur a livré trois de ses secrets. Il avait été «avant-gardiste» en déléguant des responsabilités à des spécialistes dès le milieu des années 80 et en se mettant au service de ses subordonnés. Il avait su gérer la décroissance de l'Église québécoise en retournant à l'essentiel. Et ses moments quotidiens de prière étaient comparables aux espaces de réflexion que se réservent souvent les présidents d'entreprise d'un certain âge, par l'entremise de projets d'écriture, de journaux intimes ou de retraites dans la nature.

«Je dis souvent qu'il faisait des miracles en gérant une grande entreprise avec un budget de PME», dit Jacqueline Cardinal, chercheuse à la Chaire en leadership de HEC Montréal. «Il avait un immense territoire, à peu près 250 paroisses à l'époque, si on inclut des bénévoles, des milliers d'employés et 1,5 million de catholiques potentiels ou avoués. Mais un budget de seulement 8 millions pour l'archidiocèse.»

Le cardinal Turcotte est la seule «étude de cas» de la chaire qui provienne du milieu religieux. La plupart sont dans les affaires et certains - comme Édouard Locke ou Lise Bissonnette -, du milieu culturel.

«La meilleure façon d'étudier le leadership, c'est d'aller voir les leaders, leur demander comment ils sont devenus des gestionnaires, comment ils prennent leurs décisions et motivent leurs employés, explique Mme Cardinal. Ce qui nous intéressait chez le cardinal Turcotte, c'est comment sa gestion est inspirée de ses valeurs.»

Ce qui a le plus marqué la professeure chez ce «grand communicateur», c'est son humilité. «Pour lui, le leadership était un leadership de service. D'après lui, ça s'appliquait à toute l'Église, qui doit se mettre au service des autres. Il était très humble même s'il prenait de la place dans les médias. Il disait n'avoir aucune ambition, aucun plan de carrière. Il était arrivé à sa place parce qu'il avait été appelé à servir. Son obsession, c'était d'aider les plus démunis. Ça teintait sa gestion des ressources humaines et ses prises de position politiques.

«Son chemin de Damas, ajoute-t-elle, était survenu quand il avait travaillé au camp d'été les Grèves de Contrecoeur, au collège, qui était fréquenté par des enfants très pauvres de Montréal. C'est là qu'il avait décidé d'être prêtre. Je ne dirais pas qu'il avait une foi de charbonnier, mais elle était liée de très près à la personne de Jésus, à sa vie, au contexte historique de Jésus, aux Évangiles, qu'il voyait comme pertinents pour vivre dans le monde moderne. Il n'était pas intéressé aux débats.»

La stratégie de l'essentiel

Y a-t-il des similitudes avec des leaders d'autres domaines? «Probablement le développement durable, dit Mme Cardinal. Aujourd'hui, c'est un peu une religion, sans ironie, parce que ça mobilise beaucoup les gens, qui se mettent au service d'une cause.»

Comment ont réagi les étudiants de HEC au témoignage du cardinal? «Il les a séduits par son authenticité. Aucune question ne le rebutait: comment il vivait le célibat, comment il gérait la fermeture des églises... Ce n'est pas souvent qu'on voit leadership ou gestion et religion dans la même phrase.»

Le coeur du message du cardinal Turcotte aux étudiants de HEC Montréal était ancré dans son expérience de la décroissance et de la désaffection religieuse. «Ce n'est pas facile pour un cardinal en charge d'âmes. Mais je dirais que pour lui, la décroissance de l'Église était secondaire, il voyait ça comme une transition vers autre chose. On voit davantage de communautés de chrétiens qui vivent entre eux, un peu comme aux débuts de l'Église. Pour un homme d'affaires, il est important de revenir à l'essentiel quand il y a une crise. Si on est fidèle à notre identité et à nos valeurs, on va trouver une façon de s'en sortir et de passer à l'action.»