Par une nouvelle décision qui alimentera certainement le débat sur les accommodements raisonnables, un tribunal vient de donner raison à la CSST dans une affaire de voile et d'examens médicaux. L'organisme a eu raison de casser le versement des prestations d'une femme blessée qui refusait de se dévêtir pour un examen médical en raison de ses convictions religieuses.

La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a coupé les vivres à une éducatrice en service de garde musulmane durant un mois, l'an dernier, parce qu'elle avait refusé d'enlever son voile pour un examen médical.

Le médecin expert chargé de l'évaluer a estimé qu'il ne pouvait pas procéder à un examen adéquat dans les circonstances.

Après une longue négociation, il a renvoyé la patiente chez elle.

La femme a recommencé à recevoir de l'argent plusieurs semaines plus tard, après voir été vue par un médecin plus accommodant.

Frustrée, elle s'est adressée à la Commission des lésions professionnelles; le tribunal vient de donner raison à la CSST.

L'histoire débute en 2012. Bouchra Berrada, éducatrice dans un service de garde d'une école de Montréal, se fracture le poignet et se blesse à l'épaule durant sa journée de travail. Son médecin ordonne un arrêt de travail. La CSST accepte de lui verser une indemnité.

Neuf mois plus tard, elle est toujours sur le carreau. Son employeur exige une expertise médicale à laquelle elle accepte de se soumettre. Lorsqu'elle rencontre le médecin, Mme Berrada est vêtue d'une longue robe qui touche le sol. L'examen se fait sans qu'elle soit obligée de se dévêtir ou de se dévoiler. Même chose lorsqu'elle va en physiothérapie.

Au début 2013, un an après l'accident, c'est au tour de la CSST de mandater un médecin afin d'examiner l'éducatrice. C'est là que les choses se gâtent.

Le médecin demande d'abord à la patiente de se déshabiller tout en gardant son soutien-gorge et d'enfiler une chemise d'hôpital. Elle refuse et demande d'être examinée avec son voile et par-dessus ses vêtements.

Le médecin appelle une secrétaire à la rescousse et propose à Mme Berrada que l'examen soit réalisé en présence de sa collègue. «Nous avons tenté de lui expliquer pourquoi nous devions l'examiner avec la jaquette et non à travers les vêtements qui auraient faussé l'examen objectif», écrit le médecin dans son rapport.

«Sans raison valable»

Au terme d'une longue négociation, madame accepte finalement d'enfiler une chemise d'hôpital à condition qu'elle puisse garder sa camisole en dessous. Pour le voile, elle est catégorique, elle ne l'enlèvera pas. Elle propose plutôt de le soulever au besoin. Le médecin estime qu'il ne pourra pas bien voir son épaule.

Devant l'impasse, il met fin à la consultation sans l'avoir examinée.

À la suite de la décision de son expert, la CSST a décidé de suspendre le versement des indemnités à l'éducatrice. Selon l'organisme, la travailleuse «a entravé, sans raison valable, un examen médical». Les prestations ont repris un mois plus tard, lorsqu'un autre médecin expert l'a examinée en respectant sa demande.

Dans la foulée des événements, Bouchra Berrada s'est adressée à la Commission des lésions professionnelles pour faire infirmer la décision et recevoir les versements qui ne lui ont pas été versés. Elle a perdu.

Dans un jugement rendu le mois dernier, le commissaire écrit: «En refusant de retirer son voile afin que le docteur procède à l'évaluation de ses épaules, la travailleuse a entravé cet examen. [...] La travailleuse n'a présenté aucun motif valable pour avoir entravé cet examen. [...] en faisant une réclamation auprès de la CSST concernant une lésion survenue à son épaule droite, elle acceptait de manière implicite de se soumettre à l'examen de ses deux épaules.»

L'avocat de Mme Berrada a plaidé que c'est au contraire à cause du choix personnel du médecin que l'examen n'a pas eu lieu. La CSN, qui représente Mme Berrada, ne prévoit toutefois pas porter la cause en appel. La CSST n'a pas répondu à notre demande d'entrevue.

Ce qu'en pense le tribunal

« Le médecin devait être en mesure de manipuler les membres supérieurs de la travailleuse, vérifier visuellement s'il y avait déformation ou modification de la forme, évaluer la texture et la couleur de la peau ou noter s'il y avait cicatrice. Or, ces observations pouvaient difficilement être réalisées au travers de vêtements. »

« La travailleuse indique qu'elle a proposé au docteur de soulever elle-même son voile afin qu'il puisse procéder à l'examen des épaules. [...] On constaterait qu'à ce moment, au moins une des épaules de la travailleuse n'était pas en position neutre et qu'il devenait alors impossible au médecin de comparer les deux épaules. »

« Les exigences du docteur n'impliquent que le retrait du voile, ce dernier ayant accepté que la travailleuse porte un soutien-gorge, une camisole ainsi qu'une jaquette lors de l'examen. Cette demande n'impliquait donc pas un dénuement du tronc de la travailleuse. »

Source : extraits du jugement de la commission des lésions professionnelles

Est-ce que la Charte des valeurs aurait changé quelque chose?

Si la Charte s'appliquait à ce cas particulier, l'éducatrice n'aurait pas eu le droit de porter son voile au travail, puisqu'elle est employée d'un organisme public. Toutefois, aucune disposition ne lui aurait interdit de le porter dans le cadre de sa vie privée, notamment lors d'une visite chez le médecin.