Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre un acteur de l'actualité qui s'est retrouvé au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont il a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec le directeur général du collège Dawson, à l'occasion du cinquième anniversaire de la fusillade du 13 septembre 2006.

1 Dans quel état d'esprit avez-vous abordé le cinquième anniversaire de la fusillade?

Dans un état de fébrilité. En fait, j'ai ressenti des émotions partagées. L'anniversaire me ramenait cinq ans en arrière et m'a obligé à me remémorer des événements difficiles, traumatisants. En même temps, j'étais heureux de partager avec la communauté montréalaise et avec les Québécois en général le fruit de notre travail depuis cinq ans, les efforts que nous avons faits pour tirer quelque chose de positif de tout ça.

2 Est-ce que vous craigniez les débordements médiatiques?

Non, parce que nous avons eu une bonne expérience avec les médias et parce que nous avons un service de communications qui est vraiment compétent et engagé. Il faut dire que notre directrice des communications, Donna Varrica, a vécu la fusillade de Concordia, lorsque Valery Fabrikant a tué ses collègues, en 1992. Elle a même fait son mémoire de maîtrise sur le sujet. Nous n'étions donc pas anxieux, car nous connaissions la musique.

3 Qu'avez-vous pensé de la couverture médiatique, il y a cinq ans?

Elle était absolument bouleversante. Règle générale, les médias ont été très respectueux. C'était un événement hors de l'ordinaire et les médias subissaient beaucoup de pression eux aussi. Je dirais qu'ils ont été des acteurs importants pour nous aider à communiquer notre message et à surmonter la crise.

4 Quel rôle peuvent jouer les médias dans un tel contexte, selon vous?

Ils ont une grande responsabilité en ce qui concerne le relais de l'information. À mes yeux, c'était à nous, qui étions au centre de cette situation, d'utiliser l'occasion que les médias nous offraient pour transmettre les messages aux élèves et aux parents. Nous sommes d'abord une maison d'éducation dont le rôle est de transmettre des savoirs, mais à cause de la fusillade, nous avons acquis de nouvelles compétences. Il a fallu donner un sens à notre mission éducative dans un tel contexte. Une crise est toujours une possibilité de changement.

5 Est-ce que votre perception des médias a changé depuis la fusillade?

Oui, elle s'est raffinée. Je comprends mieux leur rôle et leur utilité. Je comprends aussi les limites qu'ils doivent respecter lorsqu'ils couvrent des événements de l'envergure de la fusillade à Dawson. Je trouve qu'ils font preuve d'un professionnalisme louable. Et je dirais que j'ai également mieux compris le rôle des policiers, ce qu'ils peuvent nous apporter pour faire face à de tels événements ainsi que pour affronter la suite.

6 Qu'avez-vous appris lors de la tragédie que vous appliquez aujourd'hui dans vos communications internes et externes?

Nous avons découvert la puissance des réseaux sociaux et de l'internet. Facebook était déjà très présent dans la vie des élèves, et le site web du collège est devenu un outil extraordinairement puissant pour les rejoindre et rejoindre leurs parents. Les enseignants l'ont aussi utilisé pour rejoindre leurs élèves et organiser des rencontres pour les réconforter, et ce, le soir même de la fusillade. Si on n'avait pas eu ce site, il aurait été très difficile de rejoindre 10 000 élèves et leur famille. Depuis, nous avons maximisé son utilisation.

7 Que feriez-vous différemment aujourd'hui pour gérer une telle crise?

Je ne crois pas que je pourrais faire les choses autrement. Tout s'est mis en place d'une façon très naturelle, on a rejoint tous les groupes qu'on voulait rejoindre. Tous les établissements ont des scénarios de gestion de crise, au cas où... Mais je me suis rendu compte, le 13 septembre 2006, que ces scénarios ne sont pas applicables. Je crois que l'instinct est encore la meilleure garantie de gestion de crise efficace. On peut gérer avec sa tête, mais on agit avec son coeur.

8 Est-ce que la vie à l'intérieur des murs de Dawson est redevenue ce qu'elle était avant la fusillade ou avez-vous observé des changements permanents?

Non, ce n'est pas exactement pareil. Ce qui a changé, c'est la conscience encore plus vive que nous sommes une communauté tissée serré. Les élèves passent, mais le personnel, lui, reste. La plupart des enseignants étaient là il y a cinq ans. Les événements les ont marqués. Mais je dirais que le résultat est positif, comme si notre mission éducative était devenue encore plus cohérente à nos yeux.

9 Qu'avez-vous fait depuis cinq ans pour que, dans l'esprit des gens, Dawson ne soit pas automatiquement associé à une fusillade?

Dans les minutes, les heures et les jours qui ont suivi la fusillade, les élèves ont accordé beaucoup d'entrevues aux médias. Ils étaient cohérents, éloquents, à l'aise dans les deux langues. Ils ont donné une image très positive de la jeunesse et du collège, et cela valait toutes les campagnes de marketing. De plus, dès le début, nous avons annoncé que nous ne voulions pas faire du collège une forteresse. Encore là, il y avait de notre part la volonté de donner un sens à ce que nous avions vécu.

10 En général, trouvez-vous que les médias en font trop lorsqu'ils couvrent une fusillade?

Honnêtement, non. Il y a des médias qui tombent dans le voyeurisme, mais ils sont marginaux. Moi, je crois qu'il faut faire confiance à la capacité des gens de faire la part des choses devant des images et des reportages déstabilisants. Les gens sont en mesure de prendre du recul et d'être objectifs lorsqu'ils sont exposés à une couverture médiatique plus intense, comme lors de tragédies ou de fusillades. L'autre solution serait de censurer le travail des médias, et je ne crois pas que ce soit une très bonne idée.

TWITTER "1 de Philippe Gauthier de Trois-Rivières

Qu'est-ce qui a changé dans votre regard sur les élèves? Dans votre relation avec eux?

À la réouverture du collège, quelques jours après la fusillade, nous avions installé dans l'atrium de grands tableaux blancs avec des marqueurs. En quelques heures, les tableaux ont été couverts de messages. Celui qui m'a le plus frappé, et qui revenait le plus souvent, disait ceci: «Nous sommes plus forts que le mal qui vient de nous frapper.» J'ai découvert que, malgré ce qu'on dit sur les jeunes - qu'ils sont matérialistes, qu'on assiste à une perte de valeurs -, ils sont porteurs de spiritualité. Je les ai trouvés franchement merveilleux, et leur attitude a ravivé mon désir de travailler dans le monde de l'éducation.