En huit ans de service, le policier Sergio Rico a souvent dégainé son arme, mais il n'a jamais eu à tirer. Par contre, il se souvient très bien du choc nerveux qu'avait subi un collègue qui avait blessé un citoyen.

Les policiers s'étaient rendus dans un immeuble à logements pour arrêter un homme qui y troublait la paix. Il a empoigné deux marteaux et a sauté sur un des agents. Quand les renforts sont arrivés, un policier a vu l'homme avoir le dessus sur la policière qui tentait de le désarmer. Il a tiré.

Le forcené a été blessé et transporté à l'hôpital. Sergio Rico n'a pas entendu le coup de feu, mais il a vu son collègue à la sortie de l'immeuble. «Il était vraiment traumatisé, sous le choc», se souvient-il. Comme le veut la procédure, le policier s'est fait retirer son arme et a été affecté à des tâches administratives le temps de l'enquête.

Patrouiller dans un quartier chaud, c'est faire face à des situations où la police n'est pas toujours la bienvenue. Sergio Rico a travaillé exclusivement dans les quartiers multiculturels de Montréal, avant de quitter le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en 2004 pour changer de carrière - il est aujourd'hui photographe. Il dit avoir perdu, dans son aventure policière, quelques illusions sur la capacité des forces de l'ordre de changer les choses pour le mieux, mais il éprouve un grand respect pour ses ex-collègues qui travaillent sur le terrain.

«Il n'y a pas un policier qui a envie de tirer sur quelqu'un, martèle-t-il. J'en ai vu, des abus de pouvoir, ce sont de belles caricatures de films policiers. Ça arrive. Mais c'est une exception.» Par contre, «est-ce qu'il y a une perception négative envers les minorités culturelles, ça oui!» Même dans le poste de police où il était de service, il y avait le groupe des policiers issus de minorités ethniques - les Nations unies, comme on les appelait - et les autres. Et sur le terrain, un jeune Noir habillé à la mode de 50 Cents, «c'est un bandit».

Sauver la vie d'un bandit

Des situations délicates, Sergio Rico en a vu plus d'une. Un soir, dans Côte-des-Neiges, il se rend d'urgence sur les lieux d'une fête dans un sous-sol d'église. «Quand j'arrive, il y a 200 ou 300 personnes qui sortent de l'église en furie. Je vois un homme qui a été poignardé au cou. Le sang gicle. Je fonce vers lui et je mets ma main sur sa jugulaire pour arrêter le sang. La plupart des gens ne comprennent pas ce que je fais. La blonde du gars veut nous tuer parce qu'elle est sûre que c'est nous qui l'avons blessé. On a emmené le gars à l'hôpital.»

Le médecin a confié à Rico qu'il était intervenu juste à temps. Mais l'ex-policier garde un goût amer de l'intervention à cause de la réaction de ses collègues. «On lui a sauvé la vie. Mais ce gars-là, c'était un bandit, il avait un dossier criminel. Et la plupart des policiers nous ont chialé après pour nous dire qu'on aurait dû le laisser mourir...»

Une autre nuit, toujours dans Côte-des-Neiges, il interpelle avec une collègue un automobiliste au moment de la sortie des bars, vers 3h du matin. «Les gars qui sortent du bar commencent à dire qu'on a arrêté l'automobiliste parce qu'il est noir.» Un homme se met à l'engueuler copieusement, raconte Rico, «à deux pouces du nez», avec une foule de 200 personnes qui approuve derrière lui. «C'est un gars qui a eu, on l'a su plus tard, un dossier de voies de fait graves sur un policier de Laval.»

Rico demande à sa collègue d'oublier la contravention et de revenir dans la voiture de patrouille. «J'ai averti le gars: c'était une entrave au travail des policiers et il pouvait se faire arrêter.J'ai reculé l'auto et j'ai appelé des renforts. On a attendu.» La foule s'est dispersée. «Et là, j'ai arrêté le gars, dit-il. Ce gars-là était en train de passer un message à une foule que c'était correct de faire n'importe quoi avec la police.»