Le gouvernement Harper donne sa bénédiction au projet Northern Gateway proposé par la société albertaine Enbridge qui veut construire un oléoduc de 1200 kilomètres pour acheminer le pétrole issu des sables bitumineux de l'Alberta jusqu'au port de Kitimat, en Colombie-Britannique.

L'approbation de ce projet controversé n'a jamais fait de doutes dans la capitale fédérale, mais le ministre des Ressources naturelles Greg Rickford, qui était à New York la semaine dernière pour faire la promotion de l'industrie pétrolière du Canada, a attendu jusqu'à la date limite d'aujourd'hui pour confirmer la nouvelle.

La décision est tombée mardi après la fermeture des marchés financiers à 16h. Elle a été annoncée par l'envoi d'un simple communiqué de presse par le bureau du ministre, malgré l'importance du projet et de l'opposition qu'il suscite chez les Premières nations, les groupes environnementaux et même le gouvernement de la Colombie-Britannique.

En décembre 2013, la Commission fédérale d'examen environnemental de l'Office national de l'énergie a recommandé à Ottawa d'accepter le projet d'Enbridge tout en imposant 209 conditions. Le ministre Greg Rickford a approuvé le projet avec les mêmes conditions, qui ont déjà été acceptées par Enbridge.

«Il incombe maintenant au promoteur du projet de démontrer à l'organisme de réglementation indépendant qu'est l'Office comment il se propose de remplir les 209 conditions», a dit le ministre Rickford.

L'opposition fourbit ses armes en vue d'une bataille épique contre le projet. Le NPD promet d'en faire un enjeu électoral et de mobiliser la population de la Colombie-Britannique.

Son chef Thomas Mulcair estime que le projet présente une «menace» à l'ordre social dans la province et il promet de le suspendre sur-le-champ s'il devient premier ministre aux élections de 2015.

«La décision va être là, on va la mettre de côté et on va refaire les lois environnementales», a-t-il affirmé.

Le chef du Parti libéral, Justin Trudeau, s'est dit «déçu» de la décision du gouvernement Harper et a souligné qu'aucun ministre fédéral n'a rencontré les médias pour l'expliquer aux Canadiens. Il promet lui aussi de bloquer le projet s'il remporte les prochaines élections.

«M. Harper comprend à quel point c'est une décision qui se fout complètement des intérêts des gens de la Colombie-Britannique, qui sont préoccupés non seulement par l'environnement et le respect des communautés autochtones, mais aussi par l'économie qui dépend de la santé de l'océan», a-t-il noté.

Quant à la chef du Parti vert Elizabeth May, dont la circonscription se trouve en Colombie-Britannique, elle prévient qu'un déversement aurait des conséquences catastrophiques.

«Il y aura une destruction massive de l'industrie de la pêche et de l'industrie du tourisme, ainsi que des dommages considérables aux Premières nations», a-t-elle prévenu.

Les écologistes et les Premières nations se préparent eux aussi à une bataille épique. Plusieurs communautés autochtones et organisations environnementales se sont adressées aux tribunaux pour contester le processus réglementaire qui a mené à l'approbation du projet.

«Il y aura des poursuites judiciaires et, s'il y a lieu, des manifestations de désobéissance civile pacifique se produiront alors que plus de 20 000 personnes se sont engagées à travailler avec les Premières nations pour mettre fin à ce projet», a prévenu le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin.

L'oléoduc, dont Enbridge évalue les coûts de construction à 7,9 milliards de dollars, permettrait d'acheminer chaque jour 525 000 barils de pétrole lourd de la région d'Edmonton jusqu'à la côte de la Colombie-Britannique. De là, le pétrole serait exporté vers les marchés de l'Asie, notamment la Chine.

Le ministre Greg Rickford estime que le projet fera augmenter d'environ 300 milliards $ le produit intérieur brut du pays sur une période de 30 ans. 

Selon Enbridge, la construction pourrait durer trois ans, une fois que le feu vert aura été donné. Mais on prend soin de souligner que les pelles mécaniques ne seront pas à pied d'oeuvre dès le lendemain de l'approbation du gouvernement fédéral. Au plus tôt, la construction pourrait commencer en octobre.

La semaine dernière, un groupe de 40 hommes politiques et gens d'affaires ont signé une lettre ouverte dans les principaux quotidiens du pays plaidant en faveur de ce projet. Parmi les signataires, on compte le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, son collègue de l'Alberta, Dave Hancock, l'ancien premier ministre de Terre-Neuve, Brian Tobin, et l'ancien vice-premier ministre dans le gouvernement Chrétien, John Manley, aujourd'hui à la tête du Conseil canadien des chefs d'entreprises.

Lourd de conséquences

La décision du gouvernement Harper risque toutefois d'être lourde de conséquences politiques. Les sondages montrent que les résidants de la Colombie-Britannique sont farouchement opposés au projet.

Le Parti conservateur compte actuellement 21 des 36 sièges fédéraux dans la province, et s'engage dans une lutte politique féroce pour les conserver. L'enjeu est d'autant plus grand pour les troupes de Stephen Harper qu'en vertu de la nouvelle carte électorale, la Colombie-Britannique comptera six circonscriptions supplémentaires aux élections de 2015.

La première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, a encore affirmé récemment que le projet Northern Gateway ne respecte pas les cinq conditions que son gouvernement a établies pour l'appuyer.