En se rendant vers la base du stationnement où doit commencer notre randonnée, on croise quelques affiches que nous avons d’abord confondues avec des marqueurs d’altitude. On s’est rapidement aperçu que les chiffres croissants ne suivaient pas le relief... Il s’agit en fait d’années, indicatrices de la position où se trouvait alors la base du glacier. De constater qu’il a ainsi reculé de plus de 1500 m en 125 ans est étonnant, mais pas autant que ce qui nous attendra plus loin...
Essentiel guide
Avec l’entreprise Rockaboo, IceWalks est la seule autorisée par Parcs Canada à amener des gens à pied sur le glacier – l’endroit peut être extrêmement dangereux pour les imprudents en raison de la présence de nombreuses crevasses, de torrents et de moulins, de profonds puits taillés par la fonte des glaces. C’est toutefois le propriétaire d’IceWalks qui est notre guide en ce beau matin de juillet. Corin Lohmann accompagne les touristes sur le glacier depuis 2013, il connaît l’endroit et ses pièges comme le fond sa poche. Il nous conduira 4 km plus haut, jusqu’au pied de la chute de glace au sommet de laquelle se trouve le champ de glace Columbia, la plus vaste étendue de neige éternelle des Rocheuses.
En chemin, on en apprend plus sur l’origine des importants dépôts de moraine que l’on voit de part et d’autre du glacier, témoins de la présence des glaces à cet endroit il n’y a pas si longtemps. On croise ensuite le chemin de ces étranges autobus chaussés d’énormes pneus qui amènent les touristes au cœur du glacier. On est toutefois seulement qu’au tiers de notre ascension, le plus beau est à venir. C’est en effet un peu plus haut que l’on voit les plus belles bédières, ces spectaculaires torrents d’un bleu intense qui parcourent la surface du glacier avant de disparaître dans de surprenantes crevasses.
C’est alors que l’on entend un grondement sourd qui fait vibrer le sol sous nos pieds. « Un pan de glace vient de se détacher du flanc de la montagne, là-bas, au fond », nous indique Corin. Une manifestation de plus en plus fréquente selon notre guide, surtout cette année – nous étions sur place quelques jours seulement après la vague de chaleur record enregistrée dans l’ouest du pays. Mais ce que Corin nous montre quelques mètres plus loin donne littéralement le vertige. Une tige d’acier plantée dans la glace, entourée d’un bout de ruban gommé à environ 1,5 mètre du sol. « Il y a deux semaines, le ruban se trouvait au ras de la glace », nous affirme-t-il en s’installant derrière la tige...
« Pendant la canicule, on pouvait voir la fumée des feux qui brûlaient en Colombie-Britannique, on pouvait sentir la chaleur, on pouvait voir l’eau qui coulait sous nos pieds, illustre Corin. Cela dit, nous ne sommes pas ici pour raconter une histoire triste, nous voulons sensibiliser les gens. »
Inéluctable bouleversement
Bien qu’émerveillés par les sublimes paysages alpins qui se dressent devant nous, impossible de secouer de notre esprit ce que l’on vient de voir, cet état d’âme ambivalent nous accompagnera d’ailleurs jusqu’à notre retour.
« Il y a certainement une tristesse de voir ces merveilles disparaître. C’est comme du tourisme de la dernière chance, on reste amer au terme de notre excursion, reconnaît le professeur Christophe Kinnard, titulaire de la chaire de recherche du Canada en hydrologie de la cryosphère de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Quand on fait un voyage comme ça, on s’aperçoit de la beauté d’un décor qui est en train de disparaître, ça permet de prendre conscience des impacts. Et plus les gens prennent conscience de l’ampleur des changements, plus vite ils vont réagir à l’urgence climatique. »
Le professeur Kinnard, qui est aussi directeur du GlacioLab, a notamment dirigé une étude sur la fonte du glacier Saskatchewan, voisin de l’Athabasca – ses conclusions seront bientôt publiées dans la revue Cryosphère. Mais c’est avec sa petite famille qu’il est retourné sur le glacier Athabasca cet été, parce qu’il sait qu’il s’agit d’un paysage en constante et rapide évolution.
Dans 50 ans, il va falloir grimper haut pour voir ce qui reste du glacier. Globalement, c’est de 60 % à 80 % du volume des glaciers des Rocheuses qui va avoir disparu d’ici la fin du siècle. En été, il va rester une partie du champ de glace Columbia, on va arriver à le deviner de la route, mais pas plus.
Christophe Kinnard, titulaire de la chaire de recherche du Canada en hydrologie de la cryosphère de l’Université du Québec à Trois-Rivières
Lucide, Christophe Kinnard explique que la fonte des glaciers s’est accélérée de façon presque exponentielle au cours des 10 dernières années, notamment à cause du réchauffement, mais aussi à cause des dépôts sombres de fumée qui favorisent l’absorption de la chaleur du soleil.
« La fonte des glaciers est probablement la manifestation la plus probante des changements climatiques, parce que les conséquences qu’elle entraîne sont presque certaines d’avoir lieu, explique-t-il. C’est beaucoup plus facile à prévoir que les évènements de météo extrême, par exemple.
« Dans les Rocheuses, il y a aura de gros impacts hydrologiques, enchaîne le scientifique pour illustrer son propos. C’est une source d’eau importante dans un climat qui n’est pas très humide, surtout à l’est. Le début des rivières est actuellement alimenté par la fonte, ça contribue à tous les écosystèmes locaux. On peut donc anticiper qu’il y aura beaucoup moins d’eau de surface, l’écologie risque d’être bouleversée par l’assèchement des montagnes. »
Au moment de remettre nos crampons à Corin Lohmann, on a osé lui demander comment il entrevoyait les années à venir. « Je sais que je vais devoir développer de nouvelles expériences pour mes clients, admet-il en nous confiant qu’il a déjà commencé à collaborer avec des entreprises de tourisme autochtone. Le glacier pourrait devenir trop dangereux, un lac pourrait soudainement bloquer l’accès à sa base, il y a plusieurs impondérables. Si j’étais vous, je viendrais tout de suite, et je reviendrais dans 5 ou 10 ans. Nous sommes la dernière génération qui va pouvoir admirer cette merveille, j’ai bien peur que la prochaine ne puisse pas avoir cette chance... »
En chiffres
298 milliards de tonnes
Volume de glace perdu chaque année par les glaciers alpins depuis 2015, ce qui serait suffisant pour déverser tous les ans 7,2 m d’eau de fonte sur le territoire entier de la Suisse.
31 %
Mesure de l’accélération de la fonte des glaciers alpins enregistrée l’année dernière par rapport à 2005
Source : « Accelerated global glacier mass loss in the early twenty-first century », revue Nature, 28 avril 2021