Soudainement, un écureuil traverse le sentier. Ce n’est pas un gros écureuil gris, comme ceux qui saccagent les sacs-poubelles en pleine ville et qui font rager les propriétaires de mangeoires d’oiseaux, mais un délicat écureuil roux qui se dépêche d’aller cacher quelque part l’énorme gland de chêne qu’il trimbale entre les dents.

La gracieuse petite bête est un habitant du bois de l’île Bizard. En plein milieu urbain, c’est une véritable oasis de nature, d’arbres d’une incroyable diversité, de chants d’oiseaux, d’odeurs de feuilles mortes.

Montréal, qui est pourtant une métropole, compte plusieurs forêts d’une très grande richesse qui méritent d’être explorées. « La région montréalaise, c’est le domaine le plus riche au Québec, l’endroit où il fait le plus chaud, là où le climat est le plus clément, affirme Guillaume Couture, ingénieur forestier à la Ville de Montréal. On retrouve des espèces qui sont à la limite nordique de leur distribution. On a ainsi la présence du caryer ovale, du caryer cordiforme, du micocoulier occidental. Il y a quelques occurrences d’érable noir dans les parcs-natures, même chose pour le chêne bicolore. »

Il souligne que plus au nord, on voit davantage de sapins et d’épinettes. « Ici, ce n’est pas qu’il ne peut pas y en avoir, c’est plus qu’ils n’arrivent pas à compétitionner face aux espèces plus agressives, qui ont une croissance plus grande, qui viennent envahir les milieux plus rapidement. » Les épinettes vont généralement suivre une dynamique liée aux incendies de forêt : les arbres vont souvent avoir la même grosseur, le même âge, parce que leur apparition a suivi un incendie. « Ici, au sud, c’est davantage une dynamique de “trouée” : lorsqu’un arbre meurt, ça crée une mini-trouée, ça amène de la lumière au sol, les petites tiges d’avenir viennent prendre la place. Ainsi, les arbres n’ont pas tous le même âge, le même diamètre. »

En outre, les sols de la région montréalaise ont comme origine des dépôts glaciaires, ce qui les rend très propices. « C’est très bien en termes de diversité », déclare l’ingénieur forestier.

Il faut réaliser que les forêts de Montréal sont plutôt jeunes. Au fil des années, pratiquement toute l’île a été défrichée. Les forêts ont repris leur place peu à peu, en suivant une sorte de succession naturelle. Les champs deviennent des friches herbacées, puis des friches arbustives, arborescentes. Ce sont souvent les peupliers deltoïdes qui vont apparaître en premier. Mais ils ont besoin de lumière : une fois que la canopée s’est refermée, ce ne sont pas les petits peupliers qui vont croître, mais d’autres essences, comme le tilleul, le chêne, l’ostryer, le hêtre. Ils vont peu à peu prendre la place des arbres qui meurent.

« Lorsqu’on arrive vers la fin de la succession, c’est l’érable qui s’installe et qui va perdurer dans le temps. » Il y a toujours des espèces secondaires. On peut ainsi parler d’érablières sucrières à caryer cordiforme, ou d’érablières sucrières à tilleul d’Amérique.

Une « véritable mosaïque de communautés végétales »

  • Lors d’une balade en forêt, pourquoi ne pas lever la tête pour admirer de grands arbres matures ?

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Lors d’une balade en forêt, pourquoi ne pas lever la tête pour admirer de grands arbres matures ?

  • De vieux murets de pierre témoignent du passé agricole de cette forêt. Il y a longtemps, il y avait ici des champs.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    De vieux murets de pierre témoignent du passé agricole de cette forêt. Il y a longtemps, il y avait ici des champs.

  • À la fin de l’automne, lorsqu’il y a moins de feuilles dans les arbres, la forêt prend souvent une belle luminosité.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    À la fin de l’automne, lorsqu’il y a moins de feuilles dans les arbres, la forêt prend souvent une belle luminosité.

  • L’érable est fréquemment un incontournable des forêts matures.

    PHOTO FRANCOIS ROY, LAPRESSE

    L’érable est fréquemment un incontournable des forêts matures.

  • Les vieux arbres morts constituent de précieux habitats fauniques.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Les vieux arbres morts constituent de précieux habitats fauniques.

  • Le parc-nature du Bois-de-l’Île-Bizard donne accès au lac des Deux Montagnes.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Le parc-nature du Bois-de-l’Île-Bizard donne accès au lac des Deux Montagnes.

  • Une tortue tente de passer inaperçue sous la surface de l’eau 
d’un marais.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Une tortue tente de passer inaperçue sous la surface de l’eau 
d’un marais.

  • Dans une même forêt, on remarque différentes ambiances en vertu du type de communauté végétale qu’on traverse.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Dans une même forêt, on remarque différentes ambiances en vertu du type de communauté végétale qu’on traverse.

  • Des passerelles de bois permettent d’accéder à des secteurs plus marécageux.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Des passerelles de bois permettent d’accéder à des secteurs plus marécageux.

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L’île Bizard est un bon exemple de tout ce processus. Les colons français sont arrivés à l’île Bizard à partir de 1735 et l’ont défrichée lot par lot. « Au début du XXsiècle, l’île Bizard était un des jardins de Montréal, indique M. Couture. Il ne restait presque plus d’arbres. » Maintenant, le parc-nature du Bois-de-l’Île-Bizard est « une véritable mosaïque de communautés végétales », pour reprendre les termes de Guillaume Couture.

Évidemment, on n’a pas toujours la chance de visiter une forêt avec un ingénieur forestier qui peut identifier tel arbre ou tel arbre, telle communauté végétale ou telle autre. Mais en portant attention, on peut facilement détecter les changements d’ambiance.

Certains sont vraiment évidents. Par exemple, dans la partie nord du parc, à la Pointe-aux-carrières, aux abords du lac des Deux Montagnes, on peut constater la présence de plaines de débordement, qui sont fréquemment inondées au printemps. On peut y voir des peupliers deltoïdes et beaucoup d’érables argentés, qui peuvent demeurer un bon moment les pieds dans l’eau.

Il y a également quelques marais et marécages. On voit là-bas une hutte de castor, mais l’occupant est probablement au dodo après une dure nuit de boulot. En se penchant au-dessus de l’eau, on peut apercevoir une tortue qui se déplace sous la surface, un têtard un peu perdu et quelques minuscules poissons.

Dans la forêt proprement dite, on constate une différence dans le type d’arbres dès que le sentier monte un peu ou redescend. Comme un grand nombre de feuilles sont déjà tombées, on peut constater la diversité des troncs : certains sont blancs et lisses (le bon vieux bouleau), d’autres ont de grandes rainures verticales (le micocoulier).

Les feuilles tombées au sol aident à en identifier le propriétaire. Un petit guide d’identification serait d’ailleurs un ajout intéressant pour une balade en forêt.

Un secteur près du golf comporte beaucoup de peupliers deltoïdes : de toute évidence, la forêt est plus jeune. On a peut-être défriché un peu trop autour du golf et on a laissé la forêt envahir le terrain qui n’était pas nécessaire. Plus loin, sur un terrain plus sec, on traverse une cédrière. L’ambiance est évidemment totalement différente.

Et puis, parfois en excellent état, parfois envahis par les arbustes, des murets de pierre traversent la forêt. C’est une relique du passé agricole de l’île.

« Les cultivateurs sortaient les pierres des champs et en faisaient des murets pour délimiter les propriétés, raconte M. Couture. Ces murets sont maintenant un bel habitat pour les couleuvres et les salamandres. Il s’agit d’avoir l’œil aguerri. »

D’autres belles forets de la région

Parc-nature du Cap–Saint-Jacques

Le Cap Saint-Jacques est presque entièrement entouré d’eau. On y trouve d’anciens murets de pierre, une érablière encore en exploitation ainsi qu’une ferme écologique, ce qui lui donne une ambiance bien spéciale.

Parc-Nature du Bois-de-Liesse et parc-nature du Bois-de-Saraguay

Le Bois-de-Liesse a beaucoup de lieux ouverts, de friches, mais aussi de secteurs plus matures. On y trouve notamment de l’érable noir, une espèce menacée. Au Bois-de-Saraguay, il a été nécessaire de procéder à la coupe d’un grand nombre de frênes qui avaient été attaqués par l’agrile du frêne. Ils ont été remplacés par de minuscules arbustes qui vont finir par repeupler la forêt.

Parc-nature de l’Île-de-la-Visitation

C’est un petit parc linéaire qui est surtout intéressant pour son accès au rivage de la rivière des Prairies. Son autre caractéristique est la présence d’un ancien moulin et d’un ancien pressoir à pommes.

Parc-nature de Pointe-aux-Prairies

La forêt de Pointe-aux-Prairies est particulièrement jeune. On y trouve donc davantage de peupliers deltoïdes et de frênes. Sa grande caractéristique est toutefois la présence d’un grand nombre de cerfs de Virginie. Ce qui cause des problèmes lorsque vient le temps de planter de nouveaux arbres : il faut faire des enclos autour de ces plantations pour que les cerfs ne viennent pas tout grignoter.

Mont Royal

Difficile de passer à côté de cette forêt très variée. Il y a quelques milieux un peu humides, où l’on trouve de l’érable argenté, mais on y trouve aussi de l’érable à sucre et, en montant vers le sommet, de majestueux chênes rouges. Grâce à une application mobile gratuite, l’organisme Portrait Sonore offre une promenade guidée de deux heures et demie dans le parc.

Le Boisé Papineau

Laval a son propre joyau, le Boisé Papineau. On y trouve une des rares forêts précoloniales de la région montréalaise. Cette hêtraie précolombienne a été préservée parce que pendant le régime seigneurial, elle se situait à la limite de deux terres agricoles et qu’elle se trouvait au sommet d’une butte de sable, un vestige de la dernière glaciation. Les cultivateurs successifs étaient peu portés à s’échiner sur ce sol peu propice, situé bien loin de leur domicile.