Pour les Cubains qui ne sont pas pressés et ont peu d'argent à dépenser, il y a toujours le train Hershey, du nom du fameux chocolatier américain qui l'a fait construire il y a un siècle.

«Le moyen le moins sûr d'arriver à destination», plaisante un contrôleur.

Pour 2,80 pesos, soit environ 0,11 dollar, contre 34 pesos en car, un Cubain peut parcourir 98 km entre La Havane et Matanzas avec ce train à propulsion électrique de deux wagons, qui traverse à mi-chemin la localité de Hershey, là où l'entrepreneur américain avait fait construire en 1916 une centrale sucrière aujourd'hui à l'abandon.

Le voyage, agrémenté de 47 arrêts, prend officiellement 4 heures.

«Mais il y a toujours des surprises qui nous retardent! C'est un vieux train et il y a souvent des pannes. L'arrivée n'est jamais garantie», prévient en riant Ernesto Ortiz, 37 ans, un des deux contrôleurs du train.

Et quand les deux wagons rouillés brinquebalant comme un bateau sous la houle s'immobilisent soudain, Ernesto s'écrie presque heureux: «Je vous l'avais bien dit! C'est l'orage. Il y a une panne de courant», lance-t-il d'une voix forte à la trentaine de passagers impassibles.

Un jeune homme, grattant une guitare, continue à pousser sa sérénade pour sa voisine, en s'arrêtant de temps à autre pour prendre une gorgée de rhum devant deux policiers aux traits fatigués.

Une demi-heure plus tard, s'ébralent lentement les deux wagons de 1944, offerts en 1997 par Barcelone à l'île communiste.

Sur les 17 wagons que comptaient le train dans les années 1920, il en reste trois «authentiques» construits en 1917 en Pennsylvanie (États-Unis), siège du groupe Hershey, explique Alberto Hernandez, employé du ministère des Transports qui fait «rouler seulement sur demande» deux de ces wagons sur une vingtaine de kilomètres pour des groupes de touristes, surtout des Européens.

Milton S. Hershey (1857-1945) avait acheté plus de 24.200 hectares de champs de cannes à sucre pour la fabrication de son chocolat au lait. La mise en place d'un réseau ferroviaire de 140 km permettait de transporter des marchandises et, à partir de 1920, des passagers et des employés, selon M. Hernandez.

Après la Seconde guerre mondiale, le groupe Hershey a vendu ses propriétés à la Cuban-Atlantic Sugar company, qui allait à son tour tout revendre en 1957 au défunt «roi du sucre» cubain Julio Lobo, exproprié en 1960, un an après la révolution socialiste de Fidel Castro.

«L'État cubain a fermé la centrale en 2002 parce qu'elle utilisait une technologie obsolète. Les entrepôts abritent aujourd'hui une fabrique de carreaux pour le plancher. Il y a aussi une fabrique de pâtes alimentaires», explique M. Hernandez, âgé d'une cinquantaine d'années.

Le train, lui, est resté, mais, comme pour ces vieilles Ford des années 1950, «il faut être très inventif pour changer ou réparer les pièces qui se brisent» en raison de la crise économique et de l'embargo américain en vigueur depuis 1962, assure Marco Antonio Diaz, mécanicien depuis 39 ans.

Pour Carlos, 47 ans, conducteur de ce train, «les accidents ne sont pas rares» sur la voie qui traverse des pâturages où broutent quelques vaches, des champs en friche et des passages à niveau sans indication.

Selon La Presse cubaine, sur les 5.000 kilomètres de voie ferrée de l'île, dont 90% sont en mauvais état, il y a eu depuis près de deux ans 19 accidents graves et 320 légers, parfois en raison de l'«indiscipline et de la négligence» de l'équipage, payé, selon des contrôleurs, «très peu» comme tous les Cubains (environ 20 dollars par mois).

Et si pour un touriste canadien récemment retraité, Benoît Ethier, ce voyage est «exotique», pour la Cubaine Niurka, «c'est la vie, et ce n'est pas facile».