(Rio de Janeiro) Rio de Janeiro a célébré dans la nuit de lundi à mardi ses pleines retrouvailles avec l’allégresse, la démesure et la splendeur de son célèbre carnaval, après la parenthèse de la COVID-19.

Un sambodrome plein à craquer a vu défiler pour la deuxième et dernière nuit six grandes écoles de samba dans une féerie très créative de chars monumentaux, de costumes extravagants et de plumes multicolores, au son assourdissant des percussions.

Au total 12 écoles de samba se sont succédé en deux nuits endiablées jusqu’à l’aube sur l’avenue du sambodrome, devant 70 000 spectateurs chaque soir et des dizaines de millions de téléspectateurs.

En jeu, le titre très disputé de championne du carnaval le plus grandiose de la planète, le rendez-vous de l’année des Brésiliens, un exutoire, une parenthèse enchantée de liesse populaire.

Chaque école disposait d’une heure pour créer la plus forte impression sur le jury, avec des chars monumentaux d’une vingtaine de mètres de hauteur et quelque 3000 danseurs parcourant l’avenue de 700 mètres bordée de gradins.

Première à s’élancer, Paraiso do Tuiuti a rendu hommage aux buffles utilisés sur une île du nord-est du Brésil, tout en faisant un détour par l’Inde et les rites hindous.

Elle a célébré la beauté de la nature, avec des danseurs aux costumes orange, verts ou jaune fluo, tout en honorant la culture indigène et les esclaves venus d’Afrique.  

« C’est un carnaval très, très spécial, le premier où je défile depuis la COVID-19 », a dit à l’AFP Stefani Claudia da Concepçao, une danseuse de 34 ans à la bouche vermeille, coiffée de plumes.  

En 2021, les Brésiliens avaient été privés du carnaval qui fait partie de l’ADN du peuple : la fête avait été annulée en raison de la pandémie de coronavirus qui s’est soldée par 700 000 morts.

Et l’an dernier, le carnaval, qui se déroule habituellement dans la touffeur de l’été austral, avait été reporté à avril. Les très populaires cortèges de rue, ces « blocos » pouvant réunir des centaines de milliers de fêtards, n’avaient pas eu lieu.

« La culture de tout un peuple »

Ce carnaval 2023 était également le premier depuis le retour au pouvoir du président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, qui a battu en octobre le chef d’État sortant d’extrême droite Jair Bolsonaro.

« Le carnaval a une signification politique cette année », explique Carla Andrea Barbosa, une costumière quinquagénaire fidèle au rendez-vous depuis 30 ans.

« J’ai défilé avec quasiment toutes les écoles », dit-elle dans un éclat de rire, à propos de la fête païenne à laquelle les écoles de samba, pour la plupart basées dans les favelas, travaillent depuis des mois.  

« Le carnaval représente la culture de tout un peuple et, avant, la liberté d’expression de notre culture était réprimée », dit-elle. Le gouvernement Bolsonaro avait supprimé le ministère de la Culture, coupé les crédits et censuré des créations lui déplaisant.

Lula a promis de redonner sa place à la culture au Brésil et, signe des temps, la ministre de la Culture, Margareth Menezes, avait défilé en haut d’un char de l’école de Mangueira dans la nuit de dimanche à lundi.

L’école de Portela, la plus titrée, a célébré son 100e anniversaire en illustrant sa longue histoire dans d’infinis dégradés de bleu et de blanc, ses couleurs légendaires.

Celle de Vila Isabel a fait défiler Vikings, nymphes, satyres et chevaliers médiévaux, quand Imperatriz célébrait la terre aride du Sertao (Nord-Est) et présentait un gigantesque char allégorique de la mort.

Pour Beija-Flor, le message était plus politique : la défense des exclus – -LGBT, indigènes – et la lutte pour l’égalité hommes-femmes.

Une manne pour Rio

Le sambodrome a dansé toute la nuit de manière débridée. En tête des cortèges se déhanchaient les « reines de batterie » peu vêtues, au corps sculpté par des entraîneurs sportifs, des nutritionnistes et souvent des chirurgiens esthétiques.  

Le « plus grand spectacle de la Terre » est une manne pour Rio, métropole balnéaire de carte postale qui accueille pendant un mois cinq millions de touristes et va engranger 800 millions d’euros cette année, avec un taux de remplissage de ses hôtels de 95 %.

Le carnaval est aussi célébré dans d’autres villes du Brésil telles Bahia, Olinda, Belo Horizonte. Mais à Sao Paulo, la fête a été assombrie cette année par des pluies diluviennes dans le nord de l’État qui ont fait 40 morts et des dizaines de disparus.