Avant d'annoncer qu'il avait besoin de prendre une pause, Olivier Bernard, alias le Pharmachien, a entre autres évoqué le «doxxing» pour désigner certaines des stratégies d'intimidation dont il se dit victime. Ce terme vous n'est pas familier? Explications.

L'arme .docx

Le terme doxxing tire son nom de l'extension de fichier .docx, c'est-à-dire les documents créés par le logiciel Word. Plus largement, il fait référence à la fuite d'informations ou d'éléments personnels concernant un individu ou une entreprise, sans le consentement de la personne ou de l'entreprise en question, comme l'explique Jean-Philippe Décarie-Mathieu, cofondateur de Crypto-Québec, dans une conférence parrainée par le Smart Cybersecurity Network. Le but est souvent de dénoncer la cible, voire de lui nuire.

Les munitions

L'information récoltée, puis diffusée, n'est pas nécessairement acquise par des moyens illégaux, précise M. Décarie-Mathieu: quantité de données personnelles sont facilement accessibles sur les réseaux sociaux ou dans des banques de données publiques (canada411, par exemple). Des stratégies illégales comme l'intrusion par infraction dans des ordinateurs et l'utilisation de bases de données préalablement récoltées par de tels moyens sont aussi parfois employées.

La motivation

«L'objectif va différer d'un utilisateur à l'autre, il peut s'agir de vengeance personnelle ou de l'envie de participer à une cause», résume Christophe Fortin, professeur de psychologie à l'Université d'Ottawa. Des militants antiracistes, par exemple, ont usé de cette stratégie pour dénoncer des suprémacistes blancs dans la foulée des rassemblements de l'extrême droite tenus à Charlottesville, en Virginie, en 2017. Il y a, dans une certaine mesure, un côté tribunal populaire au doxxing.

«On est à la recherche d'un sentiment de justice. On veut réparer quelque chose qui nous semble défaillant.»

Se faire justice

«Quand l'individu est méfiant face à l'autorité ou insatisfait du système de justice, il va chercher à se faire justice lui-même hors du cadre légal, analyse Jessie Wala Ahmad, étudiante en criminologie et collaboratrice de Crypto.Québec, dans la conférence parrainée par le Smart Cybersecurity Network. Dans ces cadres-là, réparer l'injustice, qu'elle soit perçue ou réelle, va devenir plus important que le respect des lois, si bien que, le plus souvent, la personne va faire un geste illégal.»

Sentiment d'impunité

«Quoi de plus facile que de s'installer derrière son clavier pour déverser son fiel?», rappelle Christophe Fortin. Le sentiment d'anonymat peut donner à certains le courage d'agir, alors que la force du nombre peut en inciter d'autres à passer à l'action en les confortant dans leurs opinions et en les amenant à croire que le risque de se faire prendre est faible, selon le professeur de psychologie. Jessie Wala Ahmad ajoute que les gens qui s'adonnent au doxxing se rassurent en se disant qu'ils ne sont pas seuls à le faire, que la victime va s'en remettre, que c'est pour une bonne cause, etc.

Intention et diffamation

À certains égards, le doxxing peut s'apparenter à de la diffamation, évalue MNicolas Archambault, de la firme Juriseo. L'intention de nuire n'est pas nécessaire pour qu'un juge établisse que la divulgation d'information a une portée diffamatoire. Le contexte dans lequel une information en apparence neutre est diffusée pèse lourd. «Est-ce qu'un lecteur moyen peut conclure que ça porte atteinte à la réputation? demande l'avocat. Le contexte est important : où l'information est-elle publiée? Avec quels propos? Pour quelle raison? Tout ça a une importance même si on parle d'une information neutre.» Un dévoilement assorti de menaces ou d'incitation à la haine peut constituer une infraction criminelle.

Un délit fuyant

L'ampleur du doxxing est difficile à établir. Les victimes ne le dénoncent pas toujours, et même lorsqu'elles le font, la preuve est difficile à accumuler, selon Jessie Wala Ahmad. «Il faut non seulement trouver le ou les appareils qui ont été utilisés pour mener l'attaque, mais aussi identifier l'individu qui en avait la possession et le contrôle au moment des faits, explique-t-elle. Sachant qu'il existe toutes sortes de méthodes et d'outils pour masquer ses traces et [camoufler son identité] sur l'internet, ça complique beaucoup les enquêtes.»