On voit (et on entend) de plus en plus de drones en pleine nature. Ce passe-temps peut avoir des conséquences néfastes sur la faune, mais bien utilisé, le drone peut aussi se montrer très bénéfique. Il faut bien faire ses devoirs avant de partir à la chasse aux images.

UNE MENACE POUR LA FAUNE

Les images récoltées sur YouTube sont superbes: des mouflons qui avancent dans une neige épaisse, une aigle hypervigilante qui protège ses aiglons, un ourson qui suit vaillamment sa maman sur une falaise périlleuse.

Comme bien d'autres biologistes spécialisés dans la faune, Sophie Gilbert est toutefois horrifiée.

«On voit de plus en plus d'utilisateurs de drones récréatifs et commerciaux qui ne réfléchissent pas à ce qu'ils font et qui ne réalisent pas l'effet qu'ils ont sur les animaux qu'ils filment», déplore Mme Gilbert, professeure adjointe en gestion et écologie de la faune à l'University of Idaho.

Dans ces vidéos, la présence du drone semble avoir modifié le comportement des animaux, ce qui peut avoir des conséquences néfastes.

«Je vois bien dans les vidéos que les animaux sont dérangés et stressés, affirme Mme Gilbert. Ça ajoute aux difficultés qu'ils vivent, notamment pendant les périodes les plus difficiles de l'année: la saison de la reproduction ou l'hiver, alors qu'ils sont affamés et qu'il est difficile de progresser dans la neige épaisse.»

La fameuse vidéo de la maman ourse et de son ourson, qui a fait le tour des réseaux sociaux en novembre dernier, est un des pires exemples de dérangement causé par un drone. Dans des conditions normales, jamais la maman ourse n'aurait entraîné son petit sur une falaise aussi dangereuse.

«Dans la vidéo, on voit bien qu'elle fixe le drone et qu'elle pousse l'ourson vers le bas de la falaise afin de le protéger contre quelque chose de gros et de menaçant qui s'approche rapidement. Elle essaie d'être une bonne mère, mais dans ce contexte, c'est mauvais pour elle et c'est mauvais pour l'ourson.»

Ce qui désole encore plus Sophie Gilbert, c'est que pour chaque vidéo de ce genre qui se retrouve sur YouTube, combien ont été tournées et n'ont pas été diffusées sur les réseaux sociaux?

Comme il y a de plus en plus de drones, le problème ne pourra qu'empirer. À moins d'agir maintenant. «Il faut aller au-devant des problèmes, lance Mme Gilbert. Je voudrais voir plus d'éducation et de réglementation pour les utilisateurs de drones.»

Réduire les impacts sur la faune

Il y a des pistes de solution liées à la nature du drone lui-même, un robot volant qu'il est possible de programmer. «On pourrait les programmer dans une optique de conservation, notamment avec des zones d'exclusion aérienne. On ne veut pas de drones qui volent dans des colonies de chauves-souris ou des colonies d'oiseaux, ou encore au-dessus des aires de mise bas des caribous.»

Déjà, il est interdit d'utiliser des drones dans les parcs nationaux du Canada et des États-Unis, à moins d'avoir des permissions spéciales. «L'utilisation des drones peut déranger les oiseaux et les animaux sauvages, les faire fuir et avoir un impact sur leur survie», explique Simon Boivin, responsable des relations avec les médias à la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ). «Ils peuvent aussi affecter négativement l'expérience des autres visiteurs et représentent un risque d'écrasement sur des personnes.»

Selon Sophie Gilbert, les utilisateurs eux-mêmes devraient faire de la recherche sur les animaux qu'ils pourraient vouloir filmer. 

«Quand ils voient un drone, les animaux ne savent pas ce que c'est, ils n'en ont jamais vu. Ils réagissent selon leur propre biologie et selon le comportement du drone.»

Les animaux qui ont des prédateurs aériens seront probablement plus sensibles à un drone que les animaux qui n'ont pas de tels ennemis. Les utilisateurs devraient donc s'informer à ce sujet. Ils devraient aussi apprendre à identifier les signes de stress chez les animaux: certains vont fuir, d'autres s'aplatiront sur le sol sans bouger.

«Le fait de prendre le temps de connaître l'animal que vous voulez filmer fera de vous un meilleur photographe de la faune: c'est donc gagnant-gagnant.»

Comme plusieurs biologistes de la faune, Sophie Gilbert utilise parfois des drones pour effectuer ses travaux. «Nous équipons un drone d'une caméra infrarouge et nous le faisons voler de nuit pour suivre la déprédation des chevreuils et des wapitis dans les champs. C'est un excellent outil.»

En fait, pour les chercheurs, le drone permet parfois de réduire leurs impacts sur la faune et de faire des études qui étaient autrefois impossibles. «Il y a plusieurs choses que nous faisons lors de nos travaux qui dérangent les animaux, comme les recensements à partir d'avions ou d'hélicoptères. Ou encore, pour étudier les sites de nidification, il faut gravir une échelle ou l'arbre lui-même pour se rendre sur place.»

L'utilisation d'un drone équipé d'une excellente caméra, et qui peut donc voler à une bonne distance, permet de minimiser les impacts sur la faune.

Les drones ont également permis d'étudier les nids de chimpanzés et d'orangs-outans en haut des arbres de forêts tropicales. «On a aussi fait voler des drones à travers le souffle des baleines pour récolter des gouttelettes, ce qui permet d'identifier l'ADN de l'animal, s'enthousiasme Mme Gilbert. Ça permet de savoir à qui on a affaire.»

À Parcs Canada, on utilise des drones pour faire le suivi de certaines populations animale ou pour cartographier des milieux naturels, dans le but notamment de suivre la progression d'espèces envahissantes. Les chercheurs qui détiennent un permis de recherche dans un parc doivent avoir une autorisation s'ils veulent également faire voler un drone.

«C'est encadré par un processus d'évaluation», indique Olivier Bérard, spécialiste de la géomatique des écosystèmes du département de surveillance et information en matière d'écologie chez Parcs Canada.

Selon Sophie Gilbert, la plupart des chercheurs qui utilisent des drones suivent les meilleures pratiques connues. Ils font voler les appareils à bonne distance et s'éloignent encore davantage s'ils détectent des signes de dérangement ou de stress.

«Ce sont plus les utilisateurs récréatifs et commerciaux qui m'inquiètent. Ce qu'on devrait faire, c'est fournir une vidéo de bienvenue à chaque acheteur de drone afin de lui faire connaître ces meilleures pratiques.»

SAUVER LES GENS

Après avoir escaladé la voie, la grimpeuse s'affaire à installer un ancrage. C'est une opération délicate qui demande de la concentration: une petite erreur pourrait entraîner une chute au sol d'une trentaine de mètres.

Voilà qu'elle entend un grand nombre d'abeilles, probablement un essaim complet, qui s'approche. Elle s'inquiète, tente d'accélérer ses manoeuvres pour être plus rapidement en sécurité, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'il s'agit en fait d'un drone.

En montagne, la présence d'un drone fait souvent rager. Mais parfois, ça permet de sauver des vies. C'est ce qui est arrivé en juillet dernier à l'alpiniste Rick Allen, en difficulté à 7500 mètres d'altitude sur Broad Peak, dans l'Himalaya.

L'alpiniste écossais était tombé d'une falaise. Tout le monde le pensait mort. Toutefois, au camp de base du K2, le cuisinier japonais d'une autre expédition a repéré un point sur la neige grâce à un télescope. Le Polonais Andrzej Bargiel était sur place pour filmer son frère Bartek Bargiel, qui devait effectuer peu de temps après une descente historique du K2 en skis.

Andrzej Bargiel a utilisé son drone pour voir ce qu'était ce point coloré et réaliser qu'il s'agissait en fait de Rick Allen. À l'aide du drone, il a pu guider une équipe de sauvetage vers l'alpiniste écossais afin de le ramener en lieu sûr.

Plus tôt en 2018, une équipe islandaise de recherche et de sauvetage a pu secourir deux touristes polonais coincés sur un flanc de montagne. Le drone a d'abord localisé les touristes, puis a guidé l'équipe de recherche jusqu'à lui, à travers un terrain difficile et dans des conditions de faible luminosité.

«Dans notre cas, le drone a de bons côtés, affirme Hugo Fournier, de la Sûreté du Québec (SQ). Ça vient compléter ce que nous avions déjà. Pour nous, ça représente des yeux du haut des airs.»

Avantages

La Sûreté du Québec pouvait déjà compter sur des hélicoptères. Elle a quand même décidé de se doter de deux drones, notamment pour examiner et photographier des scènes de crime et de collision. «Ça permet d'avoir des angles différents, de prendre de meilleures photos à moindre coût qu'avec un hélicoptère», explique M. Fournier.

Ce dernier ajoute que le vent provoqué par les pales de l'hélicoptère peut avoir des effets négatifs, notamment sur des scènes de crime où il faut préserver soigneusement les moindres indices. 

Il indique que les drones peuvent également présenter des avantages sur les hélicoptères dans les opérations de recherche et sauvetage. 

«Les drones sont plus maniables et peuvent se rendre dans des endroits moins accessibles, comme à proximité de falaises ou dans des canyons.»

La Sûreté du Québec a encore peu utilisé ses drones dans le cadre de telles opérations. C'est toutefois arrivé en août 2017 à Asbestos. Le drone de la SQ a permis de localiser le corps d'une femme portée disparue quelques jours auparavant. Il s'agissait d'un endroit difficile d'accès.

Toutefois, la Sûreté du Québec n'a pas utilisé ses drones en août 2018 lors de la recherche d'un homme disparu en Mauricie. Une porte-parole de la SQ, Éloïse Cossette, avait alors expliqué qu'il était impossible d'utiliser un drone dans ce cas particulier parce que l'appareil aurait échappé à la vue des opérateurs en raison de la topographie du terrain.

DAVANTAGE DE DRONES À L'AVENIR

Photo Getty Images

Hugo Fournier affirme que la SQ entend utiliser davantage ses drones dans les opérations de recherche et sauvetage. «Ça va se faire de façon progressive, indique-t-il. Pour l'instant, c'est un projet-pilote, mais c'est encourageant.»

Même si les drones sont généralement interdits dans les parcs de la SEPAQ, ils seraient évidemment autorisés dans le cas d'une opération de recherche et sauvetage, affirme Simon Boivin, responsable des relations avec les médias.

«Tous les moyens à disposition doivent être utilisés lorsque la sécurité d'une personne est menacée», fait-il savoir.

À venir jusqu'à maintenant, on n'a pas utilisé de drone dans le cadre d'opérations de recherche et sauvetage dans le réseau de Parcs Canada mais c'est quelque chose qui pourrait arriver.

«Ça pourrait être une option, note Olivier Bérard, du département de surveillance et information en matière d'écologie chez Parcs Canada. Un drone pourrait être équipé de caméras à haute résolution ou de caméras thermiques.»

L'Association québécoise des bénévoles en recherche et sauvetage a accès à des drones et à des opérateurs qualifiés. Elle n'a toutefois pas encore fait appel à ces équipes lors d'opérations de recherche en assistance aux corps policiers.

«Lorsqu'ils font appel à nos services, ils ne demandent que des chercheurs pour effectuer des ratissages en forêt, explique Guy Lapointe, président de l'association. Notre mandat est de répondre à leurs besoins.»

L'association a toutefois l'intention d'utiliser des drones lors de recherches dites «complémentaires», par exemple lorsqu'elle intervient à la demande de familles après l'abandon des recherches de la part des forces policières. «Nous le faisons en recherche de victimes de noyade afin de vérifier les endroits à risque ou non accessibles», précise M. Lapointe.